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LA PHILOSOPHIE CATHOLIQUE EN ITALIE.

tienne, qui a la raison pour autorité, Platon pour fondateur, et la philosophie pour tradition. M. Rosmini a voulu dompter Kant, et c’est Kant qui finit par le dominer sans qu’il s’en aperçoive. Une seule idée kantienne, l’idée de l’être possible, suffit à ébranler tout son système en heurtant contre la masse d’idées sensualistes tour à tour invoquées par M. Rosmini afin d’éviter l’absorption du panthéisme, et repoussées pour éviter l’impuissance du matérialisme.

C’est cependant un curieux enseignement que ce dogmatisme qui se combat avec ses propres armes, ce scepticisme qui s’ignore, cette métaphysique assez riche d’inventions pour se tromper elle-même, et cependant logique dans l’incohérence, si bien qu’elle revient sans cesse au doute qu’elle veut anéantir. M. Rosmini a tout analysé ; il a vu presque toutes les difficultés de la science ; il les a abordées hardiment. Bien que croyant, il n’a jamais reculé devant aucun problème, il n’a hésité devant aucune assertion, quand il se croyait en présence de la vérité. Son antipathie pour les philosophes modernes est évidente, mais il ne décline jamais un instant la responsabilité de la pensée ; on lui conseillait de laisser là les questions inutiles de la métaphysique, mais il pense que Dieu seul connaît ce qui est inutile ; on le détournait de cette science moderne si funeste à la théologie, mais il s’y est livré avec toute l’ardeur d’un homme convaincu que Dieu a permis au doute de pénétrer dans les profondeurs intimes de la pensée, afin que la science en sortit rassurée à jamais contre un scepticisme poussé jusqu’aux dernières limites du possible. M. Rosmini, il est vrai, n’a pas triomphé dans cette lutte courageuse ; il explique le beau par l’infini qui est partout, la morale par un mystère, le ciel par une énigme ; il s’épuise sans cesse à réunir deux théories qui s’excluent : cependant on voit qu’il n’est vaincu que par la fatalité d’une force supérieure. Peut-on rapprocher M. Rosmini de M. de Bonald ? Entre les deux philosophes, il y a un abîme. Le matérialisme le plus aveugle s’est réfugié chez les disciples de Bonald : peu importe qu’ils parlent de Dieu, de l’ame, qu’ils se disent spiritualistes : quel est le principe de leur système ? L’impuissance de la raison ; et dès qu’on attaque la raison, c’en est fait de la certitude, de la spiritualité, de la moralité. Qu’on parcoure leurs livres ; toutes les grandes questions y sont complètement effacées, méconnues ; ils s’épuisent en efforts pour combattre l’intelligence, et en définitive ils se distinguent à peine des disciples de Condillac. Croient-ils à une morale naturelle qui nous prépare à une morale religieuse ? Non, ils ont besoin d’être catholiques pour être honnêtes gens. Croient-ils à la pensée ? Non, ils