Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/993

Cette page a été validée par deux contributeurs.
989
LA PHILOSOPHIE CATHOLIQUE EN ITALIE.

plus étroite, c’est que le gouvernement des individus, constitué pour toujours sur les principes de l’école évangélique, verse à chaque instant des torrens de lumière dans la société : en parlant d’un bonheur sans limites, il dissipe sans cesse toutes les illusions qui se développent au sein de la civilisation[1].

D’un côté, les masses qui se dégradent entraînant les individus dans leur décadence ; de l’autre, les individus qui se perfectionnent protégeant les masses contre elles-mêmes ; d’un côté, la chute du monde ancien, de l’autre la rédemption du monde moderne ; au commencement de l’histoire, le bonheur dans la barbarie primitive ; sur la fin des temps, le bonheur dans la contemplation de l’infini ; à l’origine de la création, le mal qui s’empare de l’humanité pour la précipiter d’abîme en abîme ; plus tard, L’Évangile qui la rachète pour l’élever jusqu’à Dieu : telle est la philosophie de l’histoire d’après M. Rosmini. C’est un ingénieux agencement d’abstractions qui se multiplient, se compliquent, se résolvent l’une dans l’autre, et nous ramènent toujours aux premiers principes du système. Le philosophe italien avait constitué deux intelligences dans l’homme, l’une pour l’erreur, l’autre pour la vérité ; il constitue deux histoires dans l’histoire, deux traditions dans la tradition, l’une pour la décadence, l’autre pour le progrès, l’une pour les masses, l’autre pour les individus, l’une pour le paganisme, l’autre pour le christianisme. Suivant M. Rosmini, l’erreur vient de la réflexion volontaire, et il se méfie du mouvement de la réflexion, c’est-à-dire de la marche des idées, du progrès des sociétés, de ce développement de l’intelligence qui constitue la vie de l’histoire. Pour lui, la vérité réside dans le premier principe de la raison, et sans dédaigner les inventions matérielles, les améliorations industrielles, il va chercher dans la notion isolée et insaisissable de l’infini toutes les grandeurs de l’histoire. Mais il suffit de rétablir l’unité de la pensée pour faire disparaître ce manichéisme du bien et du mal, de la perception et de la réflexion, du christianisme et du paganisme. La raison est la même dans la perception et dans la réflexion, dans un jugement isolé et dans une suite de jugemens ; c’est donc la même faculté qui enfante les améliorations les moins importantes de l’industrie et les plus grandes conceptions religieuses. Le monde visible de l’industrie n’est-il pas à la merci du monde invisible des idées ? Tout se tient dans le mouvement intellectuel : une idée peut contenir en puissance mille dé-

  1. Voyez les deux ouvrages : Della Ragione sommaria per la quale le società stanno e rovinano ; — Della Società e del suo fine, liv. II.