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ces quatre mesures de la capacité intellectuelle, atteignent avec lui leurs dernières limites. En proclamant la lumière divine qui éclaire tous les hommes, l’Évangile apporta un principe vivifiant à la science qui dépérissait. La morale, qui n’avait jamais eu de bases solides dans l’antiquité, fut complétée et réhabilitée en même temps par une vertu nouvelle, par la charité. On avait gouverné le monde par la force, la ruse et la philosophie ; la loi d’amour, s’élevant au-dessus de ces moyens incomplets, fit descendre la science elle-même au second rang. Enfin le christianisme, fidèle à sa mission, qui est de fortifier et d’exalter l’individu, releva la dignité humaine et constitua dans l’église, dans cette société d’hommes sans famille et sans patrie, une garantie permanente contre la corruption des masses, contre les violences impériales ; il assura ainsi le véritable gouvernement de l’humanité par les individus, dans le but de l’association universelle. Ouvrons la Bible : toute l’histoire aboutit au gouvernement de l’humanité par l’église ; les juifs, dans leur naïveté primitive, espèrent une Jérusalem terrestre, les biens de ce monde, l’empire de la terre. En attendant, les païens épuisent les épreuves de la vie ; des patriarches, des prophètes, guident le peuple d’Israël au milieu des sociétés anciennes, dont les législateurs et les conquérans cherchent à prolonger l’existence. À la fin, la chute devient inévitable, l’humanité se meurt parce qu’elle n’a foi que dans le monde ; le christianisme la sauve en lui montrant le ciel. Le monde était devenu chair, il fut convié à la communion de l’esprit ; il se corrompait dans la tradition, dans la famille, dans l’état : il fut réhabilité par le gouvernement des individus, immortalisé par l’infaillibilité de l’église et par la révélation, qui montra la divinité dans tous les hommes. La société païenne était sans défense devant la séduction de la richesse, ses législateurs redoutaient le commerce et l’industrie ; ils ne savaient garantir la moralité de la femme que par la réclusion domestique, la richesse était funeste aux anciens. Le christianisme résiste à tout ; il adopte le commerce, l’industrie, parce qu’il propose un but éternel ; il ne rejette plus les biens de ce monde, parce qu’ils peuvent servir de moyen pour obtenir le bonheur absolu. Enfin, il ne redoute plus les séductions terrestres, car toutes les richesses de la terre ne sont rien pour celui qui perd son ame.

Somme toute, le vice des sociétés anciennes était d’immoler le but aux moyens ; le secret de la rédemption fut de subordonner tous les moyens à un but. Et si l’église contient la faillibilité des hommes, si la rédemption est permanente, si les écarts du monde ancien sont désormais impossibles, si l’humanité tend chaque jour à une association