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LA PHILOSOPHIE CATHOLIQUE EN ITALIE.

montre le genre humain touchant aux dernières limites de la nature, et prêt à prendre l’essor vers les régions d’un ciel encore inconnu. Aujourd’hui, pour être vraisemblable, pour être historique, pour résumer l’époque, la poésie doit suivre la voie tracée par Virgile et se porter comme médiatrice entre le passé et l’avenir : elle doit oublier les dieux du temps pour le Dieu de l’éternité.

La seconde loi de l’art, selon M. Rosmini, c’est la facilité, et par ce mot on doit entendre la spontanéité d’une inspiration qui n’a rien de factice, et qui nous entraîne par l’harmonie pleine et entière des propres créations. Or, cette facilité qui nous charme dans l’idylle antique, ce calme de l’innocence qu’elle célèbre, se présentent à nous comme un mirage, comme une vision fugitive : c’est en vain qu’on cherche à transporter ce rêve dans la réalité, jamais les artifices de la civilisation ne pourront reproduire ce bonheur idéal dans son inaltérable sérénité. Le christianisme seul, avec sa simplicité, sa charité, son association universelle, ses espérances illimitées, sans violences, sans lois compliquées, par l’unique force de l’amour, protège l’innocence, et transforme en une réalité durable les rêves passagers de la poésie pastorale. Que peuvent, en effet, contre l’élan spontané de la vertu chrétienne les passions des hommes, ou la fatalité de la nature ? La toute-puissance divine a placé l’idéal au-dessus de toute atteinte, le bonheur ne réside plus dans les rêves d’une imagination inquiète. Même dans les premiers âges les poètes empruntaient à la théologie leurs plus sublimes inspirations : depuis, une fausse facilité a séduit l’art, la grace sublime cède à la grace attrayante, et la poésie arrachée au sanctuaire devient le jouet d’une plèbe impure. Qu’elle revienne à l’unité, à la théologie, au sublime, qu’elle lave ses souillures, qu’elle cesse de corrompre la société ; car si maintenant elle ne mérite pas d’être bannie de la république comme le voulait Platon, certes elle doit être traitée avec sévérité et vigilance.

La troisième loi de l’art, continue M. Rosmini, c’est la beauté, en d’autres termes l’ordre, c’est-à-dire l’acte qui subordonne les moyens au but. Qu’est-ce donc que le beau ? Deux systèmes se trouvent en présence : l’école idéaliste condamne la nature et cherche le beau dans une conception de l’esprit ; l’école historique part du principe contraire, et soutient que la plus grande beauté se trouve dans la réalité. Laquelle faut-il croire ? Interrogeons l’histoire, elle se divise en deux époques. Le monde ancien était corrompu, divisé, en guerre avec lui-même, la fatalité pesait sur lui, et, pour trouver la beauté, il se réfugiait dans l’idéal. Quand le monde fut régénéré, la réalité évangélique