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la propagation du rosminianisme, tandis qu’on l’introduisait dans les écoles du Piémont et dans plusieurs séminaires italiens. Cette contradiction apparente d’un prêtre absolutiste qui domine le mouvement d’une littérature libérale ne s’explique qu’à la lecture des livres de M. Rosmini. Là l’homme disparaît complètement devant le penseur, attachons-nous donc à l’histoire de ses idées.

I.

Nous devons nous arrêter d’abord aux Opuscules philosophiques que M. Rosmini recueillit en un volume imprimé à Milan en 1827. Dès la première page, on y reconnaît le prêtre de la restauration : M. Rosmini croit marcher avec la grande majorité européenne vers l’unité spirituelle de l’avenir. La Providence, l’éducation, l’art, voilà les trois sujets qu’il aborde avec un égal enthousiasme.

M. Rosmini se demande au début s’il faut justifier la Providence par la raison, et il répond que la raison doit céder à la foi, comme le sophisme à la vérité, comme l’illusion à la réalité. La raison, dit-il, ne nous offre que des données incertaines, ses moyens se réduisent à la sensation et à l’abstraction, sa portée expire aux confins du monde matériel ; il faut donc se soumettre à la foi. D’un autre côté, douterons-nous de la raison Non, répond M. Rosmini, les théologiens qui doutent de la raison détruisent toute certitude, et la religion elle-même se trouve enveloppée dans cette ruine universelle. Donc nous avons deux facultés, la foi et la raison, in parte cognoscimus, in parte prophetamus. Le rôle de la raison est de chercher à deviner Dieu dans la nature ; la sagesse des anciens se développait par la voie des énigmes ; de même la sagesse chrétienne doit grandir en s’exerçant sur l’énigme de la révélation. Ce n’est donc pas à une raison athée, ce n’est pas non plus à une foi aveugle qu’il appartient de défendre la Providence. M. Rosmini s’éloigne également de Leibnitz et de Bonald ; il croit que les sophismes sur l’origine du mal disparaissent aussitôt que la raison se borne à deviner la révélation. Sommes-nous malheureux ? Dieu ne doit rien à sa créature, nous ne pouvons pas l’accuser d’injustice, et si aujourd’hui les philosophes attendent tout de lui, c’est que par illusion ils confondent sa bonté naturelle avec cette bonté qui a été naturalisée en nous par les promesses explicites de la révélation. M. Rosmini part de là pour examiner le plan de la Providence dans la distribution du bien et du mal. Au commencement du monde, l’homme,