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LA PHILOSOPHIE CATHOLIQUE EN ITALIE.

peut revendiquer le droit de libre examen. La critique abaisse les hommes au profit des principes, et la science, incessamment interpellée par des partis qui se combattent, nécessairement insultée par ceux qu’elle condamne, souvent compromise par ceux qu’elle défend, perd en crédit tout ce qu’elle gagne en publicité. Les individus luttent avec courage, mais on sait les repousser ; le public s’éclaire, mais il ne se livre à personne ; les célébrités s’élèvent vite, mais elles tombent de même. Rien ne résiste à cette discussion permanente qui chaque jour remet en question la société tout entière. Qu’on s’occupe de psychologie : il y aura des socialistes qui dédaigneront les facultés de l’ame, parce qu’elles n’aboutissent pas à une réforme industrielle. Publiez un traité de métaphysique : on fera de Dieu une question de démocratie. Prenez place parmi les écrivains religieux ou les libres penseurs, vous serez également attaqué. Tout se divise dans la société actuelle, il n’y a pas de théorie qui ne puisse se réfugier dans un parti, pas de folie qui ne puisse trouver un interprète et des adhérens. La critique elle-même a perdu sa force, et il ne serait pas toujours téméraire de mesurer le mérite d’un écrivain par le nombre de ses ennemis. Autrefois le blâme d’un homme supérieur était un arrêt sérieux, aujourd’hui c’est un honneur, on accepte le défi. Il y a cinquante ans, quelques voix dominaient encore ce fracas de la presse ; depuis, le bruit a doublé, et de nos jours l’influence dictatoriale de Voltaire serait impossible. Il n’en est pas de même en Italie : bien que dominée par l’influence française, la presse italienne conserve de gré ou de force les allures presque solennelles de la renaissance ; les écrivains italiens croient encore à l’immortalité ; plusieurs d’entre eux s’adressent à la postérité ; tous sont illustres, incomparables, chiarissimi, egregi ? Les polémiques ne manquent pas, mais une barrière infranchissable les sépare de la politique. Les réputations grandissent lentement mais, une fois établies, elles exercent une domination qu’il est difficile d’ébranler. En France, un système s’impose avec éclat par l’enseignement officiel ou par la presse politique ; en Italie, il se propage obscurément par l’autorité désintéressée de la science personnifiée dans un homme. Se présente-t-il un génie doué de ce talent calme, persévérant, réfléchi, qui sait dominer les obstacles et vaincre les difficultés, les gouvernemens sont impuissans contre son ascendant personnel ; en défendant la discussion, ils se sont interdit la critique ; en dédaignant les idées, ils ont déconsidéré les écrivains officiels ; s’ils recourent aux persécutions, ils sont sûrs de relever la victime, ils sont sûrs qu’à la longue s’établira dans le public cette su-