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ARSÈNE GUILLOT.

— Non. Je déteste les camélias… Ils me rappellent la seule querelle que nous ayons eue… quand j’étais avec lui.

— Ne pensez plus à ces folies, ma chère enfant.

— Un jour, poursuivit Arsène en regardant fixement Mme de Piennes, un jour je trouvai dans sa chambre un beau camélia rose dans un verre d’eau. Je voulus le prendre, il ne voulut pas, il m’empêcha même de le toucher. J’insistai, je lui dis des sottises. Il le prit, le serra dans une armoire, et mit la clé dans sa poche. Moi, je fis le diable, et je lui cassai même un vase de porcelaine qu’il aimait beaucoup. Rien n’y fit. Je vis bien qu’il le tenait d’une femme comme il faut. Je n’ai jamais su d’où lui venait ce camélia.

En parlant ainsi, Arsène attachait un regard fixe et presque méchant sur Mme de Piennes, qui baissa les yeux involontairement. Il y eut un assez long silence que troublait seule la respiration oppressée de la malade. Mme de Piennes venait de se rappeler confusément certaine histoire de camélia. Un jour, qu’elle dînait chez Mme Aubrée, Max lui avait dit que sa tante venait de lui souhaiter sa fête, et lui avait demandé de lui donner un bouquet aussi. Elle avait détaché, en riant, un camélia de ses cheveux, et le lui avait donné. Mais comment un fait aussi insignifiant était-il demeuré dans sa mémoire ? Mme de Piennes ne pouvait se l’expliquer. Elle en était presque effrayée. L’espèce de confusion qu’elle éprouvait vis-à-vis d’elle-même était à peine dissipée lorsque Max entra, et elle se sentit rougir.

— Merci de vos fleurs, dit Arsène ; mais elles me font mal… Elles ne seront pas perdues ; je les ai données à madame. Ne me faites pas parler, on me le défend. Voulez-vous me lire quelque chose ?

Max s’assit et lut. Cette fois personne n’écouta, je pense : chacun, y compris le lecteur, suivait le fil de ses propres pensées.

Quand Mme de Piennes se leva pour sortir, elle allait laisser le bouquet sur la table, mais Arsène l’avertit de son oubli. Elle emporta donc le bouquet, mécontente d’avoir montré peut-être quelque affectation à ne pas accepter tout d’abord cette bagatelle. — Quel mal peut-il y avoir à cela ? pensait-elle. Mais il y avait déjà du mal à me faire cette simple question.

Sans en être prié, Max la suivit chez elle. Ils s’assirent, et, détournant les yeux l’un et l’autre, ils demeurèrent en silence assez longtemps pour en être embarrassés.

— Cette pauvre fille, dit enfin Mme de Piennes, m’afflige profondément. Il n’y a plus d’espoir, à ce qu’il paraît.