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peu obscure. Il lut sans trop comprendre. Arsène ne comprenait pas davantage sans doute, mais elle avait l’air d’écouter avec un vif intérêt. Mme de Piennes travaillait à quelque ouvrage qu’elle avait apporté, la garde se pinçait pour ne pas dormir. Les yeux de Mme de Piennes allaient sans cesse du lit à la fenêtre, jamais Argus ne fit si bonne garde avec les cent yeux qu’il avait. Au bout de quelques minutes, elle se pencha vers l’oreille d’Arsène : — Comme il lit bien ! lui dit-elle tout bas.

Arsène lui jeta un regard qui contrastait étrangement avec le sourire de sa bouche : — Oh ! oui, répondit-elle. Puis elle baissa les yeux, et de minute en minute une grosse larme paraissait au bord de ses cils et glissait sur ses joues sans qu’elle s’en aperçût. Max ne tourna pas la tête une seule fois. Après quelques pages, Mme de Piennes dit à Arsène : — Nous allons vous laisser reposer, mon enfant. Je crains que nous ne vous ayons un peu fatiguée. Nous reviendrons bientôt vous voir. Elle se leva, et Max se leva comme son ombre. Arsène lui dit adieu sans presque le regarder.

— Je suis contente de vous, Max, dit Mme de Piennes qu’il avait accompagnée jusqu’à sa porte, et d’elle encore plus. Cette pauvre fille est remplie de résignation. Elle vous donne un exemple.

— Souffrir et se taire, madame, est-ce donc si difficile à apprendre ?

— Ce qu’il faut apprendre surtout, c’est à fermer son cœur aux mauvaises pensées.

Max la salua et s’éloigna rapidement.


Lorsque Mme de Piennes revit Arsène le lendemain, elle la trouva contemplant un bouquet de fleurs rares placé sur une petite table auprès de son lit.

— C’est M. de Salligny qui me les a envoyées, dit-elle. On est venu de sa part demander comment j’étais. Lui, n’est pas monté.

— Ces fleurs sont fort belles, dit Mme de Piennes un peu sèchement.

— J’aimais beaucoup les fleurs autrefois, dit la malade en soupirant, et il me gâtait… M. de Salligny me gâtait en me donnant toutes les plus jolies qu’il pouvait trouver… Mais cela ne me vaut plus rien à présent… Cela sent trop fort… Vous devriez prendre ce bouquet, madame ; il ne se fâchera pas si je vous le donne.

— Non, ma chère ; ces fleurs vous font plaisir à regarder, reprit Mme de Piennes d’un ton plus doux, car elle avait été très émue de l’accent profondément triste de la pauvre Arsène. Je prendrai celles qui ont de l’odeur, gardez les camélias.