Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/947

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
943
ARSÈNE GUILLOT.

l’ai connue, elle était toute séduite. Elle a été ma maîtresse, je ne le nie point. Je l’avouerai même, je l’ai aimée… comme on peut aimer une personne de cette classe… Je crois qu’elle a eu pour moi un peu plus d’attachement que pour un autre… Mais depuis long-temps toutes relations avaient cessé entre nous, et sans qu’elle en eût témoigné beaucoup de regret. La dernière fois que j’ai reçu de ses nouvelles, je lui ai fait tenir de l’argent ; mais elle n’a pas d’ordre… Elle a eu honte de m’en demander encore, car elle a son orgueil à elle… La misère l’a poussée à cette terrible résolution… J’en suis désolé… Mais je vous le répète, madame, dans tout cela, je n’ai aucun reproche à me faire.

Mme de Piennes chiffonna quelque ouvrage sur sa table, puis elle reprit :

— Sans doute, dans les idées du monde, vous n’êtes pas coupable, vous n’avez pas encouru de responsabilité ; mais il y a une autre morale que celle du monde, Max, et c’est par ses règles que j’aimerais à vous voir vous guider… Maintenant peut-être vous n’êtes pas en état de m’entendre… Laissons cela. Aujourd’hui, ce que j’ai à vous demander, c’est une promesse que vous ne me refuserez pas, j’en suis sûre. Cette malheureuse fille est touchée de repentir. Elle a écouté avec respect les conseils d’un vénérable ecclésiastique qui l’a bien voulu voir. Nous avons tout lieu d’espérer d’elle. — Vous, vous ne devez plus la voir, car son cœur hésite encore entre le bien et le mal, et malheureusement vous n’avez ni la volonté, ni peut-être le pouvoir de lui être utile. En la revoyant, vous pourriez lui faire beaucoup de mal… C’est pourquoi je vous demande votre parole de ne plus aller chez elle.

Max fit un mouvement de surprise.

— Vous ne me refuserez pas, Max ; si votre tante vivait, elle vous ferait cette prière. Imaginez que c’est elle qui vous parle.

— Bon Dieu ! madame, que me demandez-vous ! Quel mal voulez-vous que je fasse à cette pauvre fille ? N’est-ce pas au contraire une obligation pour moi, qui… l’ai vue au temps de ses folies, de ne pas l’abandonner maintenant qu’elle est malade, et bien dangereusement malade, si ce que l’on me dit est vrai ?

— Voilà sans doute de la morale du monde, mais ce n’est pas la mienne. Plus cette maladie est grave, plus il importe que vous ne la voyiez plus.

— Mais, madame, veuillez songer que, dans l’état où elle est, il serait