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digne protectrice ne s’en aperçut pas. Elle continua imperturbablement son exhortation, et la termina par une péroraison qui redoubla les sanglots de la pauvre fille, c’était : Vous ne le verrez plus.

Le médecin qui arriva et la prostration complète de la malade rappelèrent à Mme de Piennes qu’elle en avait assez fait. Elle pressa la main d’Arsène, et lui dit en la quittant : Du courage, ma fille, et Dieu ne vous abandonnera pas.

Elle venait d’accomplir un devoir, il lui en restait un second encore plus difficile. Un autre coupable l’attendait, dont elle devait ouvrir l’ame au repentir ; et malgré la confiance qu’elle puisait dans son zèle pieux, malgré l’empire qu’elle exerçait sur Max, et dont elle avait déjà des preuves, enfin, malgré la bonne opinion qu’elle conservait au fond du cœur à l’égard de ce libertin, elle éprouvait une étrange anxiété en pensant au combat qu’elle allait engager. Avant de commencer cette terrible lutte, elle voulut reprendre des forces, et entrant dans une église, elle demanda à Dieu de nouvelles inspirations pour défendre sa cause.

Lorsqu’elle rentra chez elle, on lui dit que M. de Salligny était au salon, et l’attendait depuis assez long-temps. Elle le trouva pâle, agité, rempli d’inquiétude. Ils s’assirent. Max n’osait ouvrir la bouche, et Mme de Piennes, émue elle-même sans en savoir positivement la cause, demeura quelque temps sans parler et ne le regardant qu’à la dérobée. Enfin elle commença :

— Max, dit-elle, je ne vous ferai pas de reproches…

Il leva la tête assez fièrement. Leurs regards se rencontrèrent, et il baissa les yeux aussitôt.

— Votre bon cœur, poursuivit-elle, vous en dit plus en ce moment que je ne pourrais le faire. C’est une leçon que la Providence a voulu vous donner ; j’en ai l’espoir, la conviction… elle ne sera pas perdue.

— Madame, interrompit Max, je sais à peine ce qui s’est passé. Cette malheureuse fille s’est jetée par la fenêtre, voilà ce qu’on m’a dit, mais je n’ai pas la vanité… je veux dire la douleur de croire que… les relations que nous avons eues autrefois aient pu déterminer cet acte de folie.

— Dites plutôt, Max, que, lorsque vous faisiez le mal, vous n’en aviez pas prévu les conséquences. Quand vous avez jeté cette jeune fille dans le désordre, vous ne pensiez pas qu’un jour elle attenterait à sa vie.

— Madame, s’écria Max avec quelque véhémence, permettez-moi de vous dire que je n’ai nullement séduit Arsène Guillot. Quand je