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ARSÈNE GUILLOT.

quelques exclamations, quelques cris étouffés d’Arsène, puis un embrassement assez sonore. Enfin Max reprit : — Pauvre Arsène ! en quel état te retrouvé-je ? Sais-tu que je ne t’aurais jamais dénichée, si Julie ne m’eût dit ta dernière adresse. Mais a-t-on jamais vu folie pareille !

— Ah ! Salligny ! Salligny ! que je suis heureuse ! Mais comme je me repens de ce que j’ai fait. Tu ne vas plus me trouver gentille. Tu ne voudras plus de moi ?…

— Bête que tu es, disait Max, pourquoi ne pas m’écrire que tu avais besoin d’argent ? Pourquoi ne pas en demander au commandant ? Qu’est donc devenu ton Russe ? Est-ce qu’il est parti, ton Cosaque ?

En reconnaissant la voix de Max, Mme de Piennes avait été d’abord presque aussi étonnée qu’Arsène. La surprise l’avait empêchée de se montrer aussitôt ; puis elle s’était mise à réfléchir si elle devait ou non se montrer, et lorsqu’on réfléchit en écoutant, on ne se décide pas vite. Il résulta de tout cela qu’elle entendit l’édifiant dialogue que je viens de rapporter ; mais alors elle comprit que, si elle demeurait dans le cabinet, elle était exposée à en entendre bien davantage. Elle prit son parti, et entra dans la chambre avec ce maintien calme et superbe que les personnes vertueuses ne perdent que rarement, et qu’elles commandent au besoin.

— Max, dit-elle, vous faites du mal à cette pauvre fille, retirez-vous. Vous viendrez me parler dans une heure.

Max était devenu pâle comme un mort en voyant apparaître Mme de Piennes dans un lieu où il ne se serait jamais attendu à la trouver ; son premier mouvement fut d’obéir, et il fit un pas vers la porte.

— Tu t’en vas !… ne t’en va pas ! s’écria Arsène en se soulevant sur son lit d’un effort désespéré.

— Mon enfant, dit Mme de Piennes en lui prenant la main, soyez raisonnable. Écoutez-moi. Rappelez-vous ce que vous m’avez promis ! Puis elle jeta un regard calme, mais impérieux à Max, qui sortit aussitôt. Arsène retomba sur le lit ; en le voyant sortir, elle s’était évanouie.

Mme de Piennes et la garde, qui rentra peu après, la secoururent avec l’adresse qu’ont les femmes en ces sortes d’accidens. Par degrés, Arsène reprit connaissance. D’abord elle promena ses regards par toute la chambre, comme pour y chercher celui qu’elle se rappelait y avoir vu tout à l’heure ; puis elle tourna ses grands yeux noirs vers Mme de Piennes, et la regardant fixement :

— C’est votre mari ! dit-elle.