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non sans espoir qu’après avoir fait le tour de l’église, il retrouverait la chapelle vide.

Il était déjà de l’autre côté du chœur, lorsqu’une jeune femme entra dans l’église, et se promena dans un des bas-côtés, regardant avec curiosité autour d’elle. Retables, stations, bénitiers, tous ces objets lui paraissaient aussi étranges que pourraient l’être pour vous, madame, la sainte niche ou les inscriptions d’une mosquée du Caire. Elle avait environ vingt-cinq ans, mais il fallait la considérer avec beaucoup d’attention pour ne pas la croire plus âgée. Bien que très brillans, ses yeux noirs étaient enfoncés et cernés par une teinte bleuâtre ; son teint d’un blanc mat, ses lèvres décolorées, indiquaient la souffrance, et cependant un certain air d’audace et de gaîté dans le regard contrastait avec cette apparence maladive. Dans sa toilette, vous eussiez remarqué un bizarre mélange de négligence et de recherche. Sa capote rose, ornée de fleurs artificielles, aurait mieux convenu pour un négligé du soir. Sous un long châle de Cachemire, dont l’œil exercé d’une femme du monde aurait deviné qu’elle n’était pas la première propriétaire, se cachait une robe d’indienne à vingt sous l’aune et un peu fripée. Enfin, un homme seul aurait admiré son pied, chaussé qu’il était de bas communs et de souliers de prunelle qui semblaient souffrir depuis long-temps les injures du pavé. Vous vous rappelez, madame, que l’asphalte n’était pas encore inventée.

Cette femme, dont vous avez pu deviner déjà la position sociale, s’approcha de la chapelle où Mme de Piennes se trouvait encore, et après l’avoir observée un moment d’un air d’inquiétude et d’embarras, elle l’aborda lorsqu’elle la vit debout et sur le point de sortir.

— Pourriez-vous m’enseigner, madame, lui demanda-t-elle d’une voix douce et avec un sourire de timidité, pourriez-vous m’enseigner à qui je pourrais m’adresser pour faire un cierge ?

Ce langage était trop étrange aux oreilles de Mme de Piennes pour qu’elle le comprît d’abord. Elle se fit répéter la question.

— Oui, je voudrais bien faire un cierge à saint Roch, mais je ne sais à qui donner l’argent.

Mme de Piennes avait une dévotion trop éclairée pour être initiée à ces superstitions populaires. Cependant elle les respectait, car il y a quelque chose de touchant dans toute forme d’adoration, quelque grossière qu’elle puisse être. Persuadée qu’il s’agissait d’un vœu ou de quelque chose de semblable, et trop charitable pour tirer du costume de la jeune femme au chapeau rose les conclusions que vous n’avez peut-être pas craint de former, elle lui montra le bedeau, qui