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REVUE. — CHRONIQUE.

exigences. D’ailleurs, va pour le gendarme ! c’est le dieu recommandé par Horace ; il est digne de dénouer un pareil drame.

Mais durant ces onze tableaux, au milieu des mouvemens convulsifs de ces brutales passions déchaînées, au milieu du sang et de la boue, que devient la philanthropie, qui occupait une si large place dans le roman ? Elle est restée au logis ; c’est l’étendard qu’on ne déploie que dans les momens de danger. Si l’on me demande également ce qu’est devenue Cécily, je répondrai que Cécily est absente, parce qu’un parterre est honnête, et que les obscénités qu’on lit sans rougir, on ne les écoute pas sans siffler.

La foule se rend aux Mystères de Paris et ne les applaudit point. En mettant son roman en mélodrame, M. Sue a rendu au goût public un service signalé ; il s’est puni de son triomphe et s’est immolé généreusement. La démonstration est complète pour quiconque a de la bonne foi et ne manque pas de lumières. Le succès des Mystères de Paris, un de ces succès qui marquent les plus mauvais jours d’une littérature, ne se renouvellera pas.


P. L.



Une époque curieuse et peu connue de notre histoire provinciale, celle des comtes de Flandre, a fourni le sujet d’un ouvrage intéressant. L’auteur de l’Histoire des comtes de Flandre[1], M. Edward Leglay, a voulu compléter par un préambule nécessaire l’Histoire des ducs de Bourgogne de M. de Barante. Dans celle-ci, c’est la Flandre qui joue le rôle le plus éminent ; c’est elle qui opère par les coups les plus décisifs, par ses guerres commerciales et ses révolutions d’hôtel-de-ville la clôture du moyen-âge féodal. Toutefois ces mouvemens ne dataient pas de l’époque des ducs de Bourgogne ; ils n’étaient que la continuation des évènemens ou le fruit des tendances antérieures ; il était donc utile de faire voir comment cette province était déjà, dans le XVe siècle, arrivée à une situation si avancée et si puissante, et de montrer dans ses premiers germes cette lutte entre deux ordres sociaux, accomplie à présent dans presque toute l’Europe, mais qui nulle part n’avait été entreprise d’aussi bonne heure ni avec autant d’énergie et de persévérance que dans ce riche pays de la Flandre. Les matériaux ne manquaient pas à cette histoire ; aucune province peut-être n’a été aussi jalouse de conserver et d’éclaircir les monumens de son passé. Dès le XVe siècle, des historiens flamands essayèrent de réunir en corps d’histoire les faits épars dans les chroniques générales, les annales des églises et des abbayes, les romans de gestes et les chants populaires. De ces recherches sont sorties les histoires de Jacques de Guise, qui, à la manière des premiers antiquaires français, va chercher l’origine de nos ancêtres au temps de Priam et de Romulus ; les annales de Meyer, beaucoup plus positives, éclairées d’une bonne critique, et animées d’un patriotisme ardent, enfin les précieux travaux d’Oudegherst et de Buzelin. Mais c’est

  1. Histoire des comtes de Flandre, jusqu’à l’avénement de la maison de Bourgogne, par Edward Leglay, 2 vol. in-8o. Au comptoir des imprimeurs-unis, quai Malaquais, 15.