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REVUE. — CHRONIQUE.

semblait assurée, lorsque M. le ministre des affaires étrangères est venu déclarer, au milieu d’une agitation indicible, qu’il avait de nouvelles pièces et des faits nouveaux à révéler à la chambre. La remise du débat a donc été prononcée, et l’on peut dire qu’en ce moment la question ministérielle est plus sérieusement engagée qu’elle ne l’a été depuis le commencement de cette session.


LES MYSTÈRES DE PARIS AU THÉÂTRE.

Fréron était d’avis, lorsqu’un livre réussissait outre mesure et excitait un de ces engouemens déraisonnables et contagieux dont il y a tant d’exemples, de laisser passer une année sans en rien dire : c’était en appeler très spirituellement au public à jeun. Les erreurs du goût sont souvent l’effet d’une surprise, et il est rare alors que ce terme d’une année ne suffise point pour dissiper l’illusion et réduire à sa juste valeur le mauvais ouvrage. Parler franchement de certains livres le lendemain de leur entrée dans le monde, c’est troubler une ovation ; attendre une année, ce serait arriver fort à propos pour l’oraison funèbre. De tout temps, les lecteurs ont eu leurs jours gras ; de tout temps aussi, l’impartialité a eu ses revanches, quelquefois très promptes, et l’on peut croire que le procédé de Fréron serait terrible en bien des rencontres. Eh quoi ! n’y a-t-il pas de ces ouvrages médiocres qui, par un singulier concours de circonstances, obtiennent dès la première heure, rapidement, sans attendre, un de ces prodigieux succès qui, pour les vrais chefs-d’œuvre, n’arrivent que lentement, pede claudo, lorsqu’ils arrivent ? N’y a-t-il pas des triomphes littéraires qui ressemblent beaucoup à cette ovation d’un nouveau genre, décernée, un dernier jour de carnaval, dans la salle de l’Opéra, par une foule couverte d’oripeaux et à moitié en délire ? S’il s’agit de pareils triomphes, attendez une année, comme disait Fréron, et la partie sera belle, la revanche sûre ; si c’est un roman, n’attendez pas même une année, attendez seulement qu’on le mette en drame. En ce cas, le drame est une expiation.

C’est donc un rude châtiment que M. Sue vient d’infliger à son livre. L’auteur dramatique a vraiment été sans pitié pour le romancier. Les onze tableaux joués par le théâtre de la Porte-Saint-Martin sont une accablante accusation contre les dix volumes publiés par le feuilleton. Il est impossible de se livrer plus complètement, de mieux découvrir ses plaies. Il y a pourtant un embarras pour la critique. Elle a trop évidemment raison, et elle peut craindre qu’on lui ne reproche d’être sans générosité et d’abuser de ses avantages. Si elle n’avait affaire qu’à l’auteur, homme de talent et d’esprit du reste, le silence serait peut-être de bon goût : on se comprendrait à demi-mot. Mais il y a le public, qui n’est pas encore suffisamment détrompé sur le livre, bien qu’il ait accueilli le drame avec une remarquable froideur, et