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seul peut permettre au parlement et au pays d’asseoir un jugement sur la conduite de cet amiral.

Les personnes même qui inclinent à penser que la France est assez forte pour avoir le droit d’user de clémence envers une femme malheureuse s’accordent énergiquement pour blâmer la forme du désaveu qui a frappé M. Dupetit-Thouars. Deux fois les évènemens de l’Océanie ont retenti dans le parlement anglais avant que le cabinet ait pris une résolution, qui pourtant semblait facile, si elle devait porter sur la seule appréciation des faits. Telle est la considération qui a vivement saisi la chambre, et qui semble placer le ministère dans une fâcheuse alternative.

La chambre a écouté avec un vif intérêt l’exposé complet de l’affaire présenté par l’orateur qui s’était chargé d’adresser des interpellations. Il les a résumées en quelques points, sur lesquels le débat s’est trouvé naturellement engagé. Le ministère n’a-t-il donné aucune instruction à l’amiral Dupetit-Thouars et à M. le gouverneur Bruat pour le cas d’un conflit que la plus simple prévoyance rendait probable ? Si des instructions ont été données, l’esprit ou la lettre en ont-ils été violés ? La reine a-t-elle abaissé du haut de sa demeure le pavillon du protectorat, écartelé du drapeau français, pavillon qu’elle avait accepté depuis 1842 ? Enfin, comment expliquer le retard mis à publier la résolution du gouvernement, et comment ne pas lier jusqu’à un certain point cette affaire à ce qui s’est passé au sein du parlement anglais ?

En répondant à ces interpellations, M. Guizot a donné une preuve de plus des ressources et de la puissance de son talent. Abordant de front quelques-unes des difficultés, tournant les autres avec une adresse incomparable, il a paru attaquer lorsqu’on le sommait de se défendre ; puis, s’élevant de la question de Taïti à l’exposition de sa politique générale, il en a glorifié la nationalité et l’indépendance dans un langage peut-être plus superbe que magnifique. Il est fâcheux que la préoccupation si naturelle de se défendre l’ait amené à attaquer, avec une vivacité d’expression qu’il regrettera sans doute, deux officiers de la marine auxquels il témoignait l’année dernière une confiance illimitée dans un débat solennel. Ce discours sera un évènement pour le corps de la marine ; nous désirons qu’il n’y porte pas le découragement.

M. Billault a fait à M. le ministre des affaires étrangères une de ces réponses incisives et passionnées qui ont le don de remuer fortement la chambre. Enfin M. Dufaure a paru à la tribune, et il s’est élevé, sous la puissance du sentiment national, à une hauteur d’inspiration qu’on ne lui avait pas encore connue. Sur la fin de cette séance, l’une des plus mémorables assurément dans nos fastes parlementaires, la chambre est entrée dans un état de fermentation dont le spectacle était des plus saisissans. Un vote motivé a été présenté par M. Ducos, portant que la chambre, « sans approuver le gouvernement, passe à l’ordre du jour. » L’adoption de cette rédaction