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L’illustre membre qui s’y est engagé avec toute la fermeté et toute la décision de son esprit rassurait, du reste, plus que tout autre, par l’éclat de son nom et le souvenir de ses services, les serviteurs alarmés de la royauté. Lorsque M. Thiers se trouve dans la pénible nécessité de remonter jusqu’à la couronne, on est certain d’avance qu’il n’agit ainsi que dans l’espoir et avec la volonté de la servir. Suivant l’ancien président du 1er  mars, chaque régime politique a son principe qui constitue sa puissance, principe auquel il ne saurait manquer sans compromettre son avenir.

Le gouvernement de 1830 ne peut, comme l’empire, fasciner le pays par le prestige de la gloire militaire ; il ne saurait, comme la restauration, invoquer la puissance des traditions et l’autorité qu’elles assurent en Europe. Un seul élément lui reste pour consolider sa base et assurer ses destinées : la sincérité dans la pratique du régime représentatif. Ce gouvernement peut donner à la France ce qu’elle poursuit depuis cinquante ans à travers tant de déceptions et tant de périls, la monarchie et la liberté, l’inviolabilité de la couronne garantie par une sérieuse responsabilité ministérielle. Cet là ce que le pays attend de la monarchie de 1830 ; c’est à la mission qu’elle a reçue de la Providence qu’il importe de la rappeler toutes les fois qu’elle pourra se trouver dans le cas de s’en écarter.

De telles paroles sont hardies sans doute, et l’on peut regretter que M. Thiers se soit cru, par suite de l’attitude prise par le cabinet, dans l’obligation de les prononcer. Quelque opinion qu’on entretienne à cet égard, ces paroles ne modifient pas moins la position d’une manière grave. Sans abdiquer sa place au sein de l’opinion gouvernementale, M. Thiers s’est concilié plus que jamais la chaleureuse adhésion de la gauche constitutionnelle ; il a établi entre l’avenir de ce parti et sa propre fortune politique une sorte de solidarité. Cette attitude lui donnera sans doute dans le pays une force qui pourra devenir précieuse dans un moment difficile ; mais l’honorable membre a compris, avec la sagacité qui le distingue, que, pour conquérir cette force extérieure, il fallait, au sein du parlement, se désintéresser des chances d’un succès immédiat, et semer dans le présent avec la résolution de recueillir dans l’avenir.

Si le cabinet actuel devait se maintenir jusqu’aux élections générales, s’il était réservé à la tâche difficile de demander à la France une législature nouvelle, on pourrait prédire avec une sorte de certitude que M. Thiers en serait le successeur nécessaire, on pourrait affirmer qu’aucune administration intermédiaire ne saurait prendre place entre le ministère du 29 octobre et celle que l’ancien président du 1er  mars recevrait la mission de former ; mais toutes les probabilités constatent qu’il n’en sera pas ainsi. La majorité n’admet pas que le cabinet soit en mesure de se maintenir jusqu’à la fin de la législature actuelle, et, dans les rangs du parti conservateur, les hommes même qui verraient avec le plus de regret la chute du cabinet envisagent avec non moins de crainte, dans l’intérêt de la monarchie, la perspective d’une élection générale confiée aux soins d’une administration