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JEAN-PAUL RICHTER.

la négation par excellence de tout sentiment plastique. J’insiste sur ce point, qui, selon moi, contient tout le secret de l’éloignement de Jean-Paul pour l’antiquité. Et s’il vous prend fantaisie d’analyser certaines sensations qu’il vous donne, vous y trouverez par moment je ne sais quoi de musical. Ne sont-ce point des mélodies que ces visions de l’éternité ? Schubert chanterait-il autrement les lamentations du Christ sur les ruines de l’univers, et dans un style moins prophétique, ces mille rêves au clair de lune, ces divagations éloquentes où la vie des anges et des fleurs est devinée ? Envoyez maintenant cet homme en Italie, et dites si le rayon splendide dont Goethe s’est enivré ne l’offusquera point ? Entre la beauté classique et cette ame inquiète et rêveuse, préoccupée au fond de toutes les angoisses, de toutes les terreurs des temps nouveaux, aucun hymen n’était possible. S’il fallait à l’inspiration sensuelle de l’auteur d’Iphigénie de belles formes bien palpables, la chair dans le marbre, et par occasion aussi le marbre dans la chair, le romantisme épuré de Jean-Paul s’exaltait de moins. Un chant d’oiseau, un parfum surpris dans l’air le mettait en humeur poétique, surtout si ce doux chant, si ce parfum, venaient à s’exhaler au sein de ces nuits embaumées où s’allumait le feu d’artifice de sa fantaisie.

Nous touchons à la dernière période de l’activité littéraire de Jean-Paul, période de récapitulation plutôt que de transformation, et qui, sans apporter à la masse aucun élément bien nouveau, n’en devait pas moins produire Titan et les Années d’école buissonnière (Flegeljahre), œuvres fondamentales où se résume d’une manière définitive la double tendance que nous avons remarquée dans Hesperus et Quintus Fixlein. Il va sans dire que Titan représentera ici le côté transcendantal, sublime, dynamique du génie de Richter, tandis que les Années d’école buissonnière nous donneront une trentième édition, mais singulièrement revue et parfaite, de ces études atomistiques de la vie réelle. Les Palingénésies, publiées en 1799, n’offrent qu’une répétition des premières satires, et l’ouvrage imprimé vers la même époque sous le titre d’Évènemens prochains (Bevorstehender Lebenslauf) n’est

    forme passe des yeux dans l’imagination, elle tient aussitôt la clé de mon cœur, et mon émotion devient extrême. » C’est ainsi qu’il traversait des villes sans rien voir, et n’avait de goût que pour les paysages. Il percevait par le son beaucoup plus que par la vue ; s’il lui arrivait de boire un peu trop, il ne voyait plus, il entendait double, et la grande affaire était alors de débrouiller cette hallucination intérieure. De là ces soirées qu’il passait à improviser au piano. Se figure-t-on autrement l’inspiration de Beethoven ?