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l’arrak. » Jean-Paul distingue plusieurs espèces d’hommes, l’homme-dieu, l’homme-bête, l’homme-plante, et c’est dans la première de ces trois catégories qu’il range son insensé Emmanuel. Ici naturellement la question sociale se présente. Qu’on se rassure, je ne la discuterai pas. Aussi bien serions-nous fort embarrassé d’émettre un jugement ; car d’un côté nous avouons qu’il y a un abus étrange à vouloir présenter comme l’idéal de la race humaine des individus dont on peut dire en somme que la maison des fous les réclame, des êtres qui, sans utilité pour leurs semblables, n’en mordent pas moins, en parasites, aux plus beaux fruits de la vie, quitte à les rejeter ensuite avec dédain ; de l’autre, pourquoi ne confesserions-nous pas notre faible pour cette famille errante des Werther et des René, famille humaine aussi, et qui eut pour vocation la souffrance ?

Au sortir de cet idéalisme effréné de la Loge invisible et d’Hesperus, de cette poésie transcendantale toujours dans les nuages, on a peine à s’accoutumer au réalisme si borné de Quintus Fixlein et de Siebenkaes. Évidemment, dans la pensée de l’auteur, les deux romans dont je parle sont destinés à faire la contre-partie de sa première manière, qu’il retrouvera plus tard dans le Titan et la Vallée de Campan. Au premier abord, on se demande quelles relations peuvent exister entre la métaphysique de tout à l’heure et le style bourgeois d’à-présent, entre ce rêveur en démence qui se perdait dans l’infini et ce pauvre avocat de province qui se perd à son tour dans les minutieuses occupations de la vie de ménage. Et cependant, pour peu qu’on y prenne garde, on trouve le fil conducteur au moyen duquel s’opère cet embranchement de deux genres également familiers à Jean-Paul, je veux parler du caractère de Victor dans Hesperus, de ce singulier personnage à la fois poète et philosophe, courtisan et enthousiaste, « qui possède trois ames de fou, une ame humoristique, une ame sensible, une ame philosophique, » et qui, au fond, n’est autre que Jean-Paul lui-même, avec sa verve humoristique et sa sentimentalité.

Quintus Fixlein et le recueil de fantaisies imprimé sous le titre original, de Fleurs, Épines et Fruits, ouvrages spécialement réservés, comme nous le disions, à l’étude de la vie domestique, à l’analyse des misères du coin du feu, commencent dans le roman de Jean-Paul une série nouvelle, la série vraiment humoristique. En persévérant dans son premier système, l’auteur de la Loge invisible et d’Hesperus, avec une verve bien autrement poétique et généreuse, une imagination déjà tempérée d’un grain de réalisme, n’en eût pas moins risqué de