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JEAN-PAUL RICHTER.

bon génie baisa l’ame frémissante, et, s’agenouillant devant le Créateur : « Couronne, dit-il, et pare d’un beau corps la belle ame, et cette enveloppe ne se détachera d’elle qu’immaculée. Donne-lui de beaux yeux, dont jamais le mensonge n’altérera l’azur céleste ; mets un cœur sensible dans sa poitrine, un cœur qui ne doit s’arrêter qu’après avoir battu pour la nature et la vertu. Je te le rapporterai de la terre épanoui comme une fleur qui brise enfin son enveloppe, car je veux me mêler aux rayons de la lune, aux enchantemens des nuits de mai pour évoquer dans son sein des soupirs d’une douce langueur. Ma voix, en l’appelant, aura de musicales inflexions, et je causerai du haut de ton ciel avec elle. J’emprunterai l’accent de sa mère ou d’une amie, afin de l’attacher à moi. Souvent je veux, dans l’ombre et la solitude, voltiger autour d’elle, et par une larme dont son œil s’embellit, lui révéler le secret de ma présence et de mon amour, et je la conduirai de la sorte à travers la chaude journée de la vie jusque dans la vieillesse, jusqu’à cette heure où son doux éclat doit pâlir devant l’éternité, comme fait la lune à l’aurore. » — Le bon génie triompha, et tous deux descendirent sur la terre, haïs de l’esprit du mal qui les accompagna[1].— Ô toi pour qui j’ai écrit ces lignes, pense à moi, et si ma voix éloignée sur la terre ou pour jamais éteinte par-dessous n’atteint plus jusqu’à toi, que ces pages te la rappellent. » — Je l’ai dit,

  1. Cette fantaisie nous rappelle un fragment du même genre, mais plus touchant peut-être ; nous voulons parler de quelques lignes écrites à la mémoire d’une de ces gracieuses princesses d’Allemagne qui l’admirent plus tard dans l’intimité de leur petit Ferrare, et dont un agréable travail sur la duchesse Dorothée de Courlande, publié dernièrement, raconte, avec une parfaite intelligence du sujet, les hospitalières façons. « Avant qu’elle vînt au monde, écrit Richter de l’aimable muse, son génie aborda le Destin et lui dit : J’ai toute sorte de couronnes pour cette enfant, couronne de beauté, myrte du mariage, couronne de roi, couronne de laurier et de chêne, symbole de l’amour de la patrie allemande, et couronne d’épines. — Donne-lui toutes les couronnes, répondit le Destin. Cependant il en est encore une devant laquelle s’effacent les autres.

    « Et lorsque la couronne funéraire ceignit cette tête auguste, le génie revint, et comme ses larmes parlaient seules :

    « Regarde, s’écria tout à coup une voix, et le Dieu des chrétiens apparut. »

    Il y a là, qui le nierait ? la percée de lumière dans l’infini, cette note de la rêverie que nous avons eu déjà l’occasion de surprendre dans plus d’un lied d’Uhland et de Kerner. On remarquera aussi le vague des personnages : le Génie, le Destin ; à quelle religion appartient cela ? Au déisme de Rousseau sans nul doute, à ce culte romantique de la sentimentalité humaine, qui préfère volontiers au rite consacré l’union libre à la face du ciel, avec une urne pour autel, cette urne dédiée par un cœur aimant au cœur aimant qu’il adora.