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JEAN-PAUL RICHTER.

De retour à Hof, Jean-Paul reprit sa correspondance long-temps interrompue avec le pasteur Vogel, qui habitait Rehau, à deux lieues de là. Le bonhomme, quelque peu voltairien, s’arrangea à merveille du tour d’esprit hétérodoxe de notre aventureux humoriste, et des relations de plus en plus intimes s’établirent entre eux, relations qui valurent au jeune écrivain l’avantage de ne point manquer de livres dans son exil. La situation n’offrait certes rien de bien brillant encore, mais du moins pouvait-on la prendre en patience et s’y résigner sans avoir la perspective de mourir de faim au premier jour. De bonnes ames veillaient de près sur l’indigente famille, à laquelle parvenaient çà et là de petits secours discrètement ménagés. Outre le digne pasteur Vogel, je citerai dans le nombre ce Christian Otto, connu depuis sous le pseudonyme de Georgius dans les lettres allemandes, et qui dans ces pénibles circonstances, donna toujours à la mère de Jean-Paul les plus nobles marques d’intérêt ; car c’était encore la pauvre vieille mère qui pourvoyait, à force de travail et de courage, aux nécessités de la communauté. Son rouet et son économie suffisaient à tout, aussi fallait-il s’épargner la dépense. Le cabinet d’étude de Jean-Paul servait en même temps de pièce commune ; c’était là qu’il vivait avec trois de ses frères et sa mère, et tandis que celle-ci nettoyait ou balayait, faisait la cuisine ou la lessive, passant des soins du ménage au travail du rouet et de la quenouille, Jean-Paul, assis dans un coin devant une table de bois chargée de manuscrits et de livres de toute espèce, extrayait, annotait, compilait, plongé jusqu’au cou dans son œuvre, dont les occupations domestiques paraissaient le distraire aussi peu que le battement d’ailes des pigeons familiers qui roucoulaient autour de lui.

Vers le commencement de 1787, le père de OErthel invita Jean-Paul à venir à sa terre de Toepen pour y surveiller l’éducation de son second fils. Bien que dès cette époque il respirât déjà plus librement, il s’en fallait que notre poète se vît au bout de ses tribulations : d’abord, le vieux conseiller, homme de mœurs brutales et grossières, au lieu d’avoir égard à tout ce que la position du jeune écrivain commandait de ménagemens et de délicatesses, le traitait comme un de ses gens, et dans sa suffisance de marchand enrichi ne lui épargnait au besoin ni la réprimande ni les blessantes rebuffades ; d’autre part, le petit écolier ne profitait en aucune manière des leçons qu’on lui donnait, et semblait prendre tâche de déjouer toutes les espérances de son maître. Sans la présence du frère aîné, Jean-Paul eût déserté le poste ; le bonheur voulut qu’il trouvât, pour lui alléger cette nouvelle