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JEAN-PAUL RICHTER.

Diable, qui virent le jour six ans après (1789) et généralement dans la plupart des digressions entremêlées à ses romans. Comment l’exemple de Rabener ne l’instruisait-il pas, de ce Rabener dont il disait avec tant d’esprit qu’il passa sa vie à faire des autodafés à propos de misères ?

Dans la préface publiée en tête de la seconde édition des Procès groënlandais (Berlin 1821), Jean-Paul raconte d’une manière touchante les circonstances qui accompagnèrent la naissance de son premier livre. « Sur ces entrefaites, dit-il, vint l’hiver avec sa misère et la mienne. Le pauvre petit livre dut quitter sa ville natale et partir seul pour Berlin, où le vieux libraire Frédéric Voss l’attendait. Pendant ce temps, son père eut à supporter plus d’une de ces petites contrariétés qu’on appelle vulgairement dans la vie poêle sans feu et ventre vide. Enfin le petit voyageur revint un jour frapper à ma froide chambre, rapportant que le digne libraire, l’éditeur et l’ami de Lessing et de Hippel prenait ma modeste couvée sous sa protection, et se proposait de ne rien négliger pour qu’à la première foire de Leipzig mes petits drôles fussent mêlés et confondus parmi les autres bandes de savans et d’enfans perdus. En général les critiques de leur côté, ne se montrèrent pas trop impitoyables. Un seul, c’était à Leipzig, je m’en souviens encore, voyant la pauvre couvée passer sous l’arbre où il se tenait perché en sentinelle littéraire, lui décocha, comme font les singes, toute sorte de ses méchans projectiles. »

Aux ennuis de toute espèce qui fondirent sur lui à cette époque, il faut ajouter les désagrémens que lui attira sa manière de se vêtir. Si, comme on l’a dit, la pensée de l’homme réagit sur son corps, un esprit aussi original que le sien ne pouvait manquer de donner à son enveloppe matérielle quelque chose de sa physionomie excentrique. Il rompit net avec la mode, porta ses cheveux ras dans un temps où la queue était en honneur, et, sous prétexte de respirer avec plus de liberté, alla sans cravate et la chemise au vent ; si bien qu’un voisin devant la fenêtre duquel il passait et repassait dans ses promenades du soir, ennuyé de ce manége et prétendant jouir seul du jardin, imagina de se plaindre au nom de la morale publique, et le fit déloger incontinent. On trouve, dans sa correspondance, des pages entières consacrées à défendre sa mise. À Leipzig, on s’était ému ; à Hof, ce fut bien autre chose. De retour dans sa ville natale, un ébahissement unanime l’accueillit, et cela non-seulement chez ces honnêtes bourgeois scrupuleux observateurs des mœurs antiques, mais au sein même de sa famille. Une lettre qu’il écrit à OErthel, pour le prier de lui envoyer