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JEAN-PAUL RICHTER.

perdu ; mais aussi que de sanglots non moins sincères lui coûteront les aventures de cette pauvre miss Harlowe ! Humoriste dans la force du terme, sa misanthropie et son scepticisme n’ont jamais qu’une durée transitoire ; l’état normal, chez lui, c’est la sérénité ; le fond de son ame est d’azur comme le firmament. Çà et là quelques nuages viennent bien l’obscurcir, mais le grain passé et l’arc-en-ciel se lève, un arc-en-ciel vu à travers les larmes, et voilà pourquoi le monde, qu’il appelait tantôt une pitoyable mascarade, lui apparaît maintenant sous les riantes couleurs d’une vallée de joie et de bénédictions. On raconte qu’à la suite d’une assez longue entrevue avec l’auteur de Werther et de Faust, l’empereur Napoléon se leva brusquement, et, lui frappant l’épaule, s’écria : « Monsieur de Goethe, vous êtes un homme, vous ! » Peut-être aurait-il dit à Jean-Paul. : « Vous êtes un enfant. » Et cette fois encore son coup d’œil si juste ne l’eût pas trompé.

Cette sérénité d’esprit que nous venons de lui reconnaître l’aidera à traverser les plus pénibles circonstances d’une vie bien cruellement éprouvée. L’affreuse misère où la mort de son père l’a laissé s’accroîtra de jour en jour, il verra un de ses frères se noyer pour ne plus être à charge à sa pauvre mère, l’autre tomber dans le vice et l’ignominie ; il verra la mort éclaircir le cercle étroit de ses amis, et ses plus belles espérances d’écrivain s’en aller en fumée. N’importe, il prend une trop vive part à l’existence humaine et chérit trop ses belles illusions pour ne point tenir bon au milieu des calamités qui l’assiégent. Comment ne point secouer ce scepticisme de tête, quand on a tant de foi dans ses propres sensations ? comment lui, si indulgent pour les petitesses du monde, consentirait-il long-temps à donner des airs d’esprit fort ? « Plus d’un pense avoir fait preuve de dévotion lorsqu’il a bien déclamé contre ce monde qu’il est convenu d’appeler une vallée de misères. Quant à moi, j’avise qu’il serait mieux de dire vallée de délices. Dieu, à ce qu’il me semble, doit être plus porté à se montrer content de celui qui trouve tout pour le mieux dans ce monde, que de celui à qui rien ne sourit. Au milieu de tant de délices dont regorge le monde, n’est-il point d’une noire ingratitude de l’appeler un séjour de peine et de misère ? »

Jean-Paul avait dix-huit ans lorsqu’il vint à Leipzig pour y mener la vie d’université ; bientôt cependant les faibles ressources dont il disposait lui manquèrent par la mort de son père. Dès-lors plus de loisirs pour les rêveries, plus de belles promenades au clair de lune, plus d’entretiens philosophiques mêlés de libations nocturnes dans la taverne des Trois Roses. À la médiocrité de l’existence succédait tout