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JEAN-PAUL RICHTER.

d’humeur noire lui venaient surtout de deux amis morts depuis à la fleur de l’âge et dont une hypocondrie sans remède irritait sourdement le scepticisme acariâtre. L’un d’eux, Jean-Bernard Hermann, rongé de misère et d’ennui, ne sortait de lui-même que pour darder son venin au dehors, unissait au cynisme d’un Diogène de tabagie les capricieuses fantaisies d’humeur d’une jeune fille. Jean-Paul écrivait de lui qu’il était comme l’alouette qui chante dans le bleu du ciel et bâtit en même temps son nid dans les immondices. Du reste, il eut un moment l’intention d’en faire le héros d’un roman et de peindre dans ses faiblesses et sa grandeur cette existence dévastée par le besoin et l’excès de l’étude ; il voulut aussi, après sa mort, donner une édition de ses œuvres (Hermann avait publié nombre d’écrits scientifiques, entre autres un morceau particulièrement remarqué à Berlin et intitulé, je crois, de la Pluralité des Élémens) ; mais l’entreprise en resta là, ni plus ni moins que tant d’autres de ses propres œuvres qui devaient rester inachevées. Le second des deux amis, mais celui-ci d’une hypocondrie plus douce, bien que d’une indifférence religieuse non moins profonde, était Laurent de OErthel, fils aîné d’un commerçant enrichi qui habitait une terre noble dans le voisinage du collége de Hof. Laurent occupait dans la propriété de son père un délicieux pavillon construit exprès pour lui et donnant sur la Saale, bordée à cette époque d’un rideau de saules verts et de peupliers. C’était là, dans cette jolie chambre d’où la vue s’étendait sur les jardins et les prairies des environs ; c’était là qu’on se réunissait le soir pour lire les romans nouveaux, là qu’on se passionnait au clair de lune pour Werther ou Siegwart. Douces larmes que d’autres bien amères devaient remplacer avant peu, douleurs factices qui préludaient aux vraies douleurs ! Bientôt le noble jeune homme sur qui reposaient tant d’espérances s’inclina tristement, épuisé, lui aussi, par l’étude. À peine de retour de l’université, un mal sans espoir l’entreprit, et Jean-Paul vit s’en aller jour par jour, heure par heure, cette jeunesse délicate qui s’attachait à lui comme le lierre au chêne, et dont il finit par recueillir le dernier soupir dans cette même chambre où tous les deux ils avaient tant pleuré sur de romanesques infortunes.

Le souvenir de Laurent de OErthel se trouve évoqué avec une grace pleine de mélancolie dans l’avant-propos de la seconde édition des Procès groënlandais[1]. « Moi et Adam OErthel de Hof, écrit Jean-Paul, nous étions à cette époque deux amis de collége, d’université

  1. Berlin, 1821.