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L’ÎLE DE RHODES.

lisation. Les autres états européens ne craignent pas de se rendre ridicules en se proclamant les défenseurs de leur foi ; ils entrent dans la route que la France n’aurait pas dû quitter. Les Russes schismatiques appellent à eux les Grecs, l’Autriche catholique rallie les catholiques dispersés, l’Angleterre enfin vient d’envoyer un évêque et des missionnaires protestans à Jérusalem. N’y a-t-il pas là pour nous un exemple et une leçon ?

Nous suivions un chemin pénible pratiqué entre d’énormes blocs de roches suspendus sur nos têtes ; devant nous blanchissait la mer encore chargée des vapeurs du matin ; bientôt les teintes vives du jour naissant montèrent dans le ciel et dissipèrent la brume ; les Sporades sortirent des flots comme des nids de verdure, et le canal de Samos traça une barrière étincelante entre Nycère et la côte d’Asie. Les vallées de Rhodes, perdues jusqu’alors dans une morne obscurité, s’ouvrirent à la lumière et montrèrent leurs profondeurs, leurs détours et leurs forêts. Des ruines parurent au loin sur les caps décharnés ; de vieilles tours féodales entourées de palmiers couronnèrent les hauteurs, et quand nous parvînmes au sommet de la montagne, un soleil splendide éclairait ce magnifique paysage.

Le médecin de la frégate, qui examinait depuis quelque temps les rochers épars autour de lui, nous fit alors remarquer que ces pierres n’étaient qu’un amas de coquillages marins incrustés dans un sable fin. Aucun de nous n’essaya d’expliquer ce phénomène à la façon expéditive de Voltaire, qui, devant les preuves évidentes du passage des eaux sur les crêtes de l’Auvergne, assure que des milliers de pèlerins se sont rencontrés sur ces hauteurs, où ils ont laissé leurs coquilles. Chacun se rendit au témoignage des yeux et du toucher, et avoua que la mer avait dû couvrir cette montagne dans un de ces cataclysmes dont les traditions de tous les peuples ont gardé le souvenir. Lors des terribles convulsions qui précédèrent la formation complète du globe, le feu renfermé dans ses entrailles chercha violemment des issues. En certains endroits, il s’ouvrit de larges vomitoires : ailleurs, soit que la résistance fût plus vive, soit que le feu eût moins d’énergie, la terre ne fit que se soulever en montagnes ; mais il est des lieux où la lutte a été plus terrible, où le sol est fendu et déchiré comme à plaisir. Ainsi, dans l’archipel grec, d’étroits canaux séparent seuls de grandes îles. La Méditerranée ne doit être que l’immense cratère d’un volcan qui de temps en temps trouve encore des forces pour lancer quelques rochers, comme Délos et ses sœurs dans l’antiquité, et de nos jours cette île qui sortit un matin des mers de Sicile,