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de sable blanc qui forme l’extrémité de l’île vers l’est. Sur cette langue de terre stérile s’élève un épais bouquet de palmiers qui couvrent la tombe vénérée d’un santon. Près du saint musulman sont abrités les sépulcres des pachas que la Porte exilait autrefois à Rhodes, quand elle ne demandait pas leur tête. Un peu plus loin commence le quartier franc, habité par quelques familles d’origine européenne, des consuls, des malades des différentes échelles qui viennent respirer l’air le plus pur de tout le Levant, et enfin par des Grecs matelots, cabaretiers, population changeante et toujours en mouvement. D’autres Grecs, répandus dans l’île, cultivent les terres que leur afferment les Turcs et les Juifs. Un firman du grand-seigneur interdit aux chrétiens le droit d’acheter des propriétés dans l’empire ; quelquefois les chrétiens éludent cette défense en faisant acheter par leurs femmes, considérées comme rayas ou esclaves, les biens qu’ils veulent acquérir. C’est grace à ce stratagème que les Francs parviennent à posséder en Turquie des maisons de campagne. Le Juif, regardé par les Turcs comme un animal domestique, est affranchi de cette loi, qui a été renouvelée depuis peu par le divan. Cette mesure paraît d’abord sauvage et impolitique, puisqu’elle empêche de riches étrangers de s’établir dans des champs abandonnés qu’ils feraient revivre ; ce n’est cependant que la conséquence naturelle du dépeuplement et de la misère profonde où sont plongées toutes les provinces de l’empire. La plupart des Turcs désirent vendre leurs terres de trois et quatre lieues d’étendue qu’ils ne savent et ne peuvent cultiver : que les chrétiens obtiennent la liberté d’acquérir, et sans secousses, sans bouleversemens, la surface de ce magnifique pays sera transformée, le sang jeune et actif d’Europe affluera dans les veines de ce paralytique, qui n’attend pour se lever que le toucher du doigt de Dieu ; mais alors aussi la population musulmane disparaîtra ensevelie sous l’invasion chrétienne.

Les Grecs de Rhodes, comme tous ceux de la Turquie, ont une existence très douce, et cependant, soit souvenir de leur ancienne gloire, soit plutôt turbulence naturelle, les îles ne supportent qu’avec impatience la domination du sultan. Elles ont placé leur espoir dans le royaume de Grèce, sans penser que cette liberté qu’elles appellent les chargerait aussitôt de lourds impôts, du service de terre et de mer, et leur enlèverait la tranquillité dont elles jouissent sous le régime turc. À dieu ne plaise que nous condamnions chez les Grecs d’Orient ce sentiment de l’indépendance, s’il doit les exciter à vaincre ou à périr comme leurs frères d’Hydra et de Missolonghi, et si, leur délivrance accomplie, ils ne se plaignent pas des sacrifices qu’elle doit en-