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L’ÎLE DE RHODES.

Le misérable trembla sous la voix qui l’interrogeait ; il parut lutter quelques instans, puis, courbant le front :

— Je suis innocent, balbutia-t-il ; et ces mots, qui résonnaient dans le silence, furent entendus de tous. Un second cliquetis d’armures retentit sous les voûtes.

— Amaral, reprit L’Ile-Adam, au sortir de cette église, vous serez conduit à la porte d’Orient, où, après qu’on vous aura dégradé, vous aurez le poing coupé et la tête tranchée comme les traîtres. Avant de mourir, André, oserez-vous vous joindre à moi pour recevoir le corps de notre Seigneur Jésus-Christ ?

Toutes les têtes se penchèrent afin d’écouter la réponse du condamné ; celui-ci se souleva, un rayon d’espérance éclaira son visage, mais tout à coup, comme foudroyé à la vue du saint calice, il retomba sur les dalles. — Que Dieu vous juge donc, et qu’il vous soit miséricordieux ! murmura le grand-maître. — Amen ! répondirent les chevaliers. Le service continua. Quand l’aumônier eut donné sa bénédiction, l’esclave fit lever le chancelier, un héraut pendit à un pieu l’écu d’Amaral la pointe en haut. Alors André chercha dans la foule un ami, un complice peut-être ; mais il ne vit que des faces de guerriers inflexibles. Bientôt après il monta cette rue des Chevaliers que nous avons essayé de décrire, passa devant sa maison, et vit ses armoiries couvertes d’un crêpe. Arrivé sur les remparts, le héraut lui enleva sa cuirasse, la montra au peuple en criant : Ceci est la cuirasse du traître et félon Amaral ! Et il la brisa à coups de masse ; puis on dépouilla le chevalier de ses cuissarts, de ses brassarts, de tous ses vêtemens, et celui qui avait vendu ses frères pour le sourire d’une fille du prophète, revêtu de la casaque d’un esclave rameur, monta sur l’échafaud, où le nègre, après lui avoir coupé la main, lui trancha la tête, qui fut exposée sur une pique à la vue des infidèles.

Les ruines du palais des grands-maîtres sont dans le haut de la rue des Chevaliers, près des fortifications. Ce château, qui dominait autrefois la ville, la mer et les campagnes, n’est plus qu’un amas de décombres du milieu desquels s’élèvent des murs flanqués de tourelles dont les débris obstruent les cours et les salles ; des restes de galeries, des arcades que le lierre enlace et soutient encore, servent d’abri à de tristes oiseaux qui s’échappent en criant et se replongent dans leurs sombres repaires dès que le voyageur s’est éloigné.

En quittant ces ruines, nous suivîmes une ruelle obscure qui mène au quartier turc, et nous arrivâmes d’abord sur une place dont l’un des côtés est bordé par un lourd édifice, auquel se rattachent d’an-