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ESSAIS D’HISTOIRE PARLEMENTAIRE.

ses droits et de ses plus belles possessions ? Ce grand royaume, qui a survécu tout entier aux déprédations des Danois, aux incursions des Écossais, à la conquête des Normands, qui a soutenu sans en être ébranlé les menaces de l’Armada espagnole, tombera-t-il devant la maison de Bourbon ? Nous ne sommes donc plus ce que nous étions ? Un peuple qui, il y a dix-sept ans, était la terreur du monde, s’abaissera-t-il jusqu’à dire à son ancien, à son implacable ennemi : Prenez-nous ce que nous avons de plus précieux, donnez-nous seulement la paix ?… Au nom du ciel, s’il est absolument nécessaire d’opter entre la paix et la guerre, si la première ne peut être conservée avec honneur, pourquoi ne pas commencer la guerre sans hésitation ? Je ne connais pas bien, je l’avoue, l’état actuel des ressources de ce royaume ; mais j’ai la confiance qu’elles suffiront pour défendre ses justes droits. Quoi qu’il en soit, milords, tout vaut mieux que le désespoir. Faisons au moins un effort, et si nous devons succomber, succombons comme des hommes ! » Ce furent là les dernières paroles de lord Chatham. Le duc de Richmond lui ayant répondu avec une aigreur qui sembla le blesser vivement, il voulut répliquer. Deux ou trois fois il essaya de se lever, mais ses forces le trahirent. Il retomba évanoui sur son siége. On l’emporta, et la chambre, vivement émue, ajourna la discussion. C’était le 7 avril 1778 que se passait cette scène imposante ; le 11 mai, lord Chatham, qui s’était fait conduire dans une de ses maisons de campagne, y rendait le dernier soupir à l’âge de soixante-dix ans.

Dès le lendemain, un membre de l’opposition, le colonel Barré, proposa à la chambre des communes de voter une adresse au roi pour demander que les funérailles du grand homme qui venait d’expirer se fissent aux frais de l’état, et qu’un monument lui fût élevé à Westminster. Lord North adhéra avec empressement à cette motion, en exprimant le regret de n’avoir pas eu le temps d’en prendre l’initiative. L’adresse passa à l’unanimité. Le jour suivant, lord North apporta le consentement royal au vœu manifesté par la chambre. Une autre adresse, à laquelle il s’associa également et que plusieurs membres appuyèrent en vantant le rare désintéressement de lord Chatham, appela la munificence royale sur la famille de l’illustre mort. Un bill fut voté en conséquence pour allouer à son fils aîné et à ses successeurs dans la pairie une pension de quatre mille livres sterling. Enfin, vingt mille livres sterling furent affectées au paiement de ses dettes. Il est à remarquer que ces résolutions, adoptées à l’unanimité dans la chambre des communes, ne le furent pas dans celle des lords sans quelque dissidence, et que la proposition d’assister en corps à ses funérailles y fut rejetée à la majorité d’une voix. Le conseil de la Cité