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quelque disposition à s’entendre avec lord Chatham. Ce qui explique cette tendance à un rapprochement naguère encore si imprévu, c’est que, d’accord sur ce point avec les amis du roi, il se prononçait ouvertement contre l’idée de reconnaître l’indépendance des colonies, tandis qu’une fraction considérable de l’opposition, celle dont le marquis de Rockingham était le chef, en était déjà venue à considérer cette reconnaissance comme nécessaire.

Le duc de Richmond fit dans ce sens, à la chambre des lords, une proposition formelle, qui souleva la patriotique colère de lord Chatham. Jamais, dans les plans de transaction qu’il avait conçus en faveur des colons, sa pensée n’était allée au-delà d’une combinaison qui, en laissant au roi la souveraineté des provinces américaines, les eût seulement affranchies de la suprématie du parlement, et leur eût donné une législation aussi bien qu’une administration particulière. Abandonner complètement les colonies, leur permettre de s’organiser en un état distinct et allié de la France, c’était une humiliation dont il ne pouvait supporter la pensée. Malgré l’épuisement où le réduisaient ses souffrances, il se fit porter à la chambre des lords. On peut comprendre quelle fut l’émotion de cette assemblée lorsqu’elle le vit entrer pâle, exténué, dans l’appareil de la maladie, appuyé sur son jeune fils et sur son gendre, mais conservant encore dans son attitude, dans son regard, dans toute sa personne, cet aspect imposant et majestueux qui, depuis quarante ans, exerçait une telle fascination sur tous ceux qui l’écoutaient. Il prit la parole au milieu d’un profond silence, d’une voix faible d’abord, mais qui ne tarda pas à s’animer. « Après une longue absence, dit-il, une absence que je regrette, mais que mes infirmités m’ont imposée malgré moi, j’ai fait un effort pour venir, la dernière fois peut-être qu’il me sera possible d’entrer dans cette enceinte, y manifester toute mon indignation de l’idée que j’apprends y avoir été exprimée. Je me félicite de ce que la tombe ne s’est pas encore fermée sur moi, de ce que j’ai encore assez de vie pour protester contre le démembrement de cette noble et antique monarchie. Abattu comme je le suis par la douleur, je suis peu capable d’assister mon pays dans ce moment d’extrême danger ; mais, milords, tant que je conserverai le sentiment et la mémoire, jamais je ne consentirai à priver le royal rejeton de la maison de Brunswick, l’héritier de la princesse Sophie, de la plus belle partie de son héritage. Où est l’homme qui osera conseiller une telle mesure ? Milords, sa majesté a reçu de ses prédécesseurs un empire aussi vaste que glorieux. Ternirons-nous la gloire de notre nation par un abandon ignominieux de