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nisse aucun emploi à leur activité : c’est à elles qu’il appartient de conserver le dépôt des nobles pensées et des grands sentimens, d’empêcher par leurs protestations éloquentes qu’ils ne soient en quelque sorte frappés de proscription, et de nourrir soigneusement ce feu sacré en attendant le jour où la manifestation n’en sera plus inopportune, parce que le peuple sera redevenu capable d’en supporter la lumière.

Tel était alors le rôle que jouaient à la chambre des communes Burke et le jeune Fox. À la chambre des lords, Chatham avait quelque peine à s’y résigner, habitué qu’il était à une existence plus active, à une influence plus directe. Il était d’ailleurs peu satisfait de ses auxiliaires. Si, d’un côté, il s’irritait de la circonspection du marquis de Rockingham et de ses amis, de l’autre les procédés démagogiques et quelquefois illégaux de la Cité de Londres lui inspiraient de l’inquiétude et du dégoût. Découragé par le peu de succès des attaques multipliées qu’il venait de diriger contre le cabinet, aigri et abattu par la maladie, il cessa presque absolument pendant deux années de prendre part aux débats, et même d’assister aux séances. Lorsqu’il y reparut plus tard, ce ne fut plus que pour y traiter une seule question, qui, il est vrai, avait fini par absorber toutes les autres, la question des troubles et bientôt de l’insurrection des colonies.

Dans la vie si dramatique de lord Chatham, il n’y a peut-être rien de plus imposant que la part qu’il prit à ces grandes délibérations. C’est un noble spectacle que celui de ce vieillard s’arrachant de loin en loin de son lit de douleur pour aller signaler à son pays les dangereuses erreurs du gouvernement, annonçant d’avance les malheurs qui devaient en être la conséquence, invoquant la justice, l’humanité, la politique, également méconnues par les mesures de rigueur dirigées contre les Américains ; puis, accablé par cet effort, rentrant dans sa solitude, d’où il ne doit sortir de nouveau que lorsque l’évènement aura vérifié ces tristes prédictions, lorsque d’autres témérités du gouvernement appelleront de sa part d’autres remontrances et d’autres prophéties non moins infructueuses. Jamais peut-être son éloquence ne s’était élevée à une telle hauteur. Je n’analyserai pas ces discours si énergiques, si brillans, si passionnés, où vibre si admirablement l’accent du patriotisme livré à une noble tristesse en présence de calamités dont il ne peut arrêter le cours. Soit qu’il y rende un magnifique hommage à la sagesse, à l’esprit de liberté qui dictaient les manifestes et dirigeaient les premiers actes des insurgés, soit qu’il y proteste contre les attentats du ministère aux droits des colons et au