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ESSAIS D’HISTOIRE PARLEMENTAIRE.

liberté qui ont fait, à diverses époques, la grandeur de l’Angleterre. On comprend que les ames généreuses et les hautes intelligences eussent quelque peine à s’y soumettre ; il est pourtant incontestable que la longue durée du ministère de lord North fut, sous un rapport assez essentiel, un véritable bienfait pour le pays. En maintenant pendant douze années le pouvoir dans les mêmes mains, la majorité mit ces brusques reviremens qui, depuis l’avénement de George III, on pourrait presque dire depuis la chute de Walpole, n’avaient cessé de dissoudre et de recomposer les partis, de diviser et de réunir successivement les hommes politiques, sans autre motif, sans autre prétexte même que leurs intérêts ou leurs ressentimens. Ceux qu’à l’avénement de lord North le hasard avait rassemblés dans la même opposition, où certainement ils n’avaient pas cru entrer pour si long-temps, finirent par s’attacher aux opinions, aux principes dans lesquels ils n’avaient vu d’abord que des armes de guerre, destinées à être jetées de côté lorsqu’elles leur auraient donné la victoire. À la longue, il se forma entre eux, et aussi entre leurs adversaires des liens trop étroits pour qu’il fût facile de les rompre brusquement. La nouvelle génération qui s’élevait dans cet intervalle était d’ailleurs étrangère aux mesquines préoccupations de la génération précédente ; dans son dévouement sincère et passionné aux principes pour lesquels on lui avait appris à combattre, elle ne comprenait même plus ces tristes intrigues qui naguère avaient absorbé et épuisé toute l’énergie morale du pays, et lorsque, après la fin de ce long ministère, quelques hommes éminens, dans des vues d’ambition personnelle, voulurent recommencer cette guerre de défections et de coalitions imprévues dont le duc de Newcastle avait été le héros, et à laquelle lord Chatham lui-même s’était mêlé trop souvent pour sa gloire, l’indignation qu’ils excitèrent, la longue disgrace qui leur fit expier un succès d’un moment, durent leur prouver qu’ils s’étaient trompés d’époque. Le règne des coteries avait fait place à celui des grands partis. Les whigs et les tories se retrouvaient réellement en présence.

Le ministère de lord North fut, on le voit, un de ces régimes de transition que les peuples sont parfois condamnés à subir en expiation de leurs propres écarts et des fautes de leurs gouvernans, régimes tristes et sans éclat, mais nécessaires pour ramener par le calme les esprits égarés aux notions de la vérité et de l’ordre moral. Il est sans doute malheureux pour les ames d’une certaine trempe de venir à de pareils momens, d’avoir à respirer cette pesante atmosphère. Néanmoins on aurait tort de croire qu’un pareil état de choses ne four-