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Presque toutes les fractions du parti whig s’étaient réunies contre le cabinet. Lord Temple et George Grenville, le marquis de Rockingham et ses amis, ceux du duc de Newcastle, ceux du duc de Bedford, formaient une coalition à laquelle il n’était pas probable qu’on pût long-temps résister. Lord Chatham voulut essayer de la dissoudre. Il ne semblait pas qu’avec quelque adresse il dût lui être bien difficile d’y réussir ; mais le peu de souplesse de son caractère, l’irritabilité de son humeur, l’embarras inextricable des engagemens contradictoires où il se jeta quelquefois étourdiment, les obstacles imprévus que les préventions royales lui opposèrent en quelques circonstances, toutes ces causes et d’autres encore rendirent au moins infructueuses les tentatives auxquelles il se livra. S’il parvint à gagner en effet quelques individus, d’autres, et particulièrement le duc de Bedford, dont il avait un moment désarmé l’hostilité par des promesses qu’ensuite il ne put ou ne voulut pas tenir, se rejetèrent dans l’opposition avec un surcroît d’irritation et d’amertume. Dans son propre parti, lord Chatham s’aliéna plusieurs personnages considérables, qui, croyant avoir à se plaindre de ce que leurs prétentions ou leurs droits étaient sacrifiés au besoin de satisfaire les nouveau-venus, ne purent tolérer la hauteur dédaigneuse avec laquelle il repoussa leurs réclamations. Je ne m’arrêterai pas davantage à ces négociations impuissantes, dont les monotones et fastidieux détails remplissent les mémoires du temps ; il suffira de dire qu’en résultat définitif elles affaiblirent moins l’opposition que le cabinet.

C’étaient là de tristes occupations pour le grand ministre qui, quelques années auparavant, agitait le monde, écrasait la France et l’Espagne, sauvait la Prusse de sa ruine, et portait l’Angleterre au faîte de la grandeur. Fatigué de ces luttes stériles et plus affecté qu’il ne voulait le paraître de la perte de sa popularité, sa santé ne put résister à de pareilles épreuves. Il tomba si gravement malade, que toute participation aux affaires lui devint absolument impossible. Retiré à la campagne, en proie à des attaques de goutte auxquelles se mêlaient, à ce qu’il paraît, des crises nerveuses d’une extrême violence, il resta pendant plus d’une année étranger à tout ce qui se faisait et à peu près invisible même pour les autres ministres. Dans les conjonctures graves et délicates qui se présentèrent à plusieurs reprises, le cabinet, dont il était l’ame, et qui, en s’abstenant de prendre son avis, eût également craint de s’égarer et de le blesser, s’efforçait vainement d’entrer en communication avec lui. Vainement le chef nominal de ce cabinet, le duc de Grafton, sollicitait un entretien de quelques minutes, absolument nécessaire, disait-il, pour assurer la marche du gouverne-