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ESSAIS D’HISTOIRE PARLEMENTAIRE.

ses nobles agitateurs, et l’expérience de tous les temps a prouvé qu’on ne remue jamais certaines idées sans s’exposer à les faire passer un peu plus tard dans l’ordre des faits.

On revenait donc insensiblement à la lutte primitive des whigs et des tories, des partisans de la liberté et des partisans de la prérogative, lutte moins dangereuse cette fois, parce qu’elle devait se renfermer dans les limites que lui assignaient les principes mieux définis de la constitution. Ce qui est curieux, c’est que le moment où se reformèrent en effet les deux grands partis dont les noms seuls avaient survécu depuis un demi-siècle est précisément celui où ces noms disparurent momentanément du langage habituel, comme si, dans la confusion des derniers temps, ils eussent à tel point perdu leur signification propre, qu’il fût devenu impossible de s’en servir pour désigner clairement des réalités distinctes. Pendant plusieurs années, au lieu de whigs et de tories, on n’entendit presque plus parler que de patriotes et d’amis du roi. Le chef des amis du roi, lord Bute, était peu en état de lutter avec succès contre la formidable opposition dont les rangs grossissaient à chaque instant. Dépourvu également des grands talens, de la haute ambition de Pitt, et de l’esprit d’intrigue, de l’infatigable ténacité du duc de Newcastle, désespérant tout à la fois de tenir tête à ses adversaires et de maintenir l’union parmi les membres du cabinet, craignant peut-être que son extrême impopularité ne finit par compromettre le roi lui-même, il se décida, au moment où l’on s’y attendait le moins, à se retirer des affaires. Il n’y avait pas encore onze mois qu’il avait succédé au duc de Newcastle dans les fonctions de premier ministre. Son seul but en prenant le pouvoir, affecta-t-il de dire, avait été de donner la paix à l’Angleterre ; ce but était atteint (8 avril 1763).

George Grenville le remplaça en qualité de premier lord de la trésorerie, et fut nommé en même temps chancelier de l’échiquier. Homme d’intelligence et de courage, d’une grande intégrité, vieilli dans le travail et la pratique des affaires, il était fait pour figurer utilement parmi les membres principaux de l’administration ; mais il manquait de la hauteur de vues et de caractère nécessaire pour la diriger. Ce qui semble prouver que l’opinion publique ne le jugeait pas au niveau de sa situation, c’est que le ministère dont il était le chef est appelé historiquement le ministère du duc de Bedford, parce que ce seigneur, d’une capacité médiocre, mais puissant parmi les whigs par son rang et sa fortune, y entra, bien qu’assez tardivement, avec le titre de président du conseil. Ce ministère, en butte aux violentes