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ESSAIS D’HISTOIRE PARLEMENTAIRE.

conservait encor de ce côté. Dans sa pensée, elle devait, après en avoir pris possession, enlever aux Espagnols l’importante île de Cuba. Il voulait commencer immédiatement contre eux les hostilités, en interceptant un convoi qui apportait d’Amérique à Cadix un immense trésor. Lord Bute et lord Granville se prononcèrent, dans le conseil, contre une proposition qu’ils trouvaient téméraire et irréfléchie, qui tendait à rendre plus pesant encore le fardeau d’une guerre ruineuse, et qui, en mettant du côté de la Grande-Bretagne le tort au moins apparent d’une agression non provoquée, pouvait lui aliéner l’opinion de l’Europe. Le duc de Newcastle se renferma d’abord dans une sorte de neutralité. À l’exception de lord Temple, tous les autres ministres se rangèrent à l’opinion de lord Bute et de lord Granville. Trois conseils successifs, tenus à quelques jours d’intervalle, n’ayant laissé à Pitt aucune espérance de ramener la majorité à son avis, il termina la lutte par cette déclaration solennelle : « C’est la voix du peuple qui m’a appelé à l’administration des affaires publiques. Je me suis toujours considéré comme comptable envers lui de ma conduite. Je ne puis donc rester dans une situation où je serais responsable de mesures dont la direction ne m’appartiendrait pas. »

Le lendemain, 5 octobre 1761, Pitt et lord Temple déposèrent leur démission entre les mains du roi. George III, sans affecter une hésitation qui n’était pas dans sa pensée, et en avouant même que l’avis unanime de son cabinet l’eût à peine décidé à adopter la proposition de son secrétaire d’état, lui exprima pourtant avec cordialité le regret qu’il éprouvait à se séparer de lui, et la reconnaissance qu’il gardait de ses services. Il lui offrit, comme témoignage de sa gratitude, soit le gouvernement du Canada, sinécure à laquelle on eût attaché un traitement de cinq mille livres sterling, soit la chancellerie du duché de Lancastre. Pitt refusa ces offres ; mais, sur ses insinuations, la pairie fut donnée à sa femme, avec le titre de baronne de Chatham, qui devait passer à sa postérité mâle, et il obtint pour son compte une pension de trois mille livres sterling, transmissible après lui à la nouvelle pairesse aussi bien qu’à leur fils aîné. — Lord Temple fut le seul membre du cabinet, et James Grenville le seul membre de l’administration secondaire, qui se retirèrent avec lui. George Grenville lui-même, que lord Bute était depuis quelque temps parvenu à détacher d’eux en flattant son ambition, conserva son emploi de trésorier de la marine et devint, avec Fox, le principal champion du parti ministériel dans la chambre des communes. Le poste de secrétaire d’état laissé vacant par Pitt fut donné à lord Egremont, fils de cet éloquent Wyndham qui, sous le