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L’ISTHME DE PANAMA.

dispositions les meilleures, pourvu qu’il ne vît aucun péril pour ses droits de souveraineté, dont il est justement jaloux. C’est un gouvernement éclairé : il sent quel prix l’ouverture du canal de Panama donnerait à une grande portion du territoire de la république. Il n’a cessé d’appeler l’industrie européenne à s’en charger ; il a accueilli à bras ouverts tous les prétendans qui se sont présentés, en mettant à leurs pieds, on peut le dire, les conditions les plus brillantes. Je ne parle que de la Nouvelle-Grenade, parce que nul tracé n’est désormais comparable à celui de Panama. D’ailleurs l’Amérique centrale est maintenant dans une telle situation, qu’il serait impossible de traiter avec elle. Après l’indépendance, le gouvernement s’y montra empressé à favoriser l’ouverture de l’isthme par le lac de Nicaragua. On se souvient qu’en 1825 une compagnie s’étant présentée avec le roi des Pays-Bas à sa tête, la concession lui avait été accordée. Les mesures se prenaient pour commencer les travaux, quand la révolution belge éclata, et le roi Guillaume fut contraint d’abandonner ses projets sur le fleuve San-Juan de Nicaragua et ses conventions avec le congrès de l’Amérique centrale, pour s’occuper des bouches de l’Escaut et s’entendre avec la conférence de Londres. Aujourd’hui l’esprit de l’Europe a cessé d’animer ces états ; il en a été banni. Les peaux-rouges y sont les maîtres, comme les noirs à Haïti, et des ténèbres semblables à celles qui couvrirent l’Europe après l’invasion des barbares semblent s’être répandues sur ces belles régions, dignes d’une domination meilleure.

Quant à la question de savoir si une compagnie pourrait accomplir l’œuvre par ses seules ressources, on ne pourrait la résoudre que moyennant une connaissance exacte du chiffre de la dépense, et l’on n’en a pas même une idée approximative. On doit croire pourtant que ce chiffre serait très élevé. Les travaux maritimes à opérer aux deux débouchés du canal dans la mer paraissent devoir être étendus. Les bénéfices, à la vérité, pourraient monter assez haut ; on assure que déjà il entre dans le Grand-Océan ou il en sort, par le cap de Bonne-Espérance ou le cap Horn, plus de 2,500 grands navires, représentant ensemble plus d’un million de tonneaux. À dix francs de péage par tonneau, en supposant qu’on eût les deux tiers des navires, la recette brute serait de 6,667,000 francs, ce qui, sauf accidens, pourrait laisser 4 à 5 millions de profit net. Mais si les frais de premier établissement, y compris les travaux maritimes, allaient à cent millions, et il faut bien se tenir prêt à des dépenses de cet ordre, les actionnaires ne recueilleraient qu’un intérêt insuffisant. Dans