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pratiquait si vivement ces nobles inspirations. Mais cette réaction n’avait pas encore pénétré dans le monde officiel, parmi les hommes habitués à se partager comme un patrimoine les places et les honneurs. Là, tout était encore subordonné aux calculs d’un mesquin égoïsme, et les emplois, distribués dans des vues purement personnelles, étaient exercés avec cette négligence, cette absence complète de prévoyance et de zèle qui caractérisent certaines époques malheureuses C’était un vice radical qu’il fallait absolument guérir pour se mettre en état de tenter et d’accomplir de grandes choses ; seulement le remède n’était rien moins que facile à trouver. Pitt sut le découvrir. Doué lui-même d’une rare énergie, d’une activité que rien ne pouvait épuiser, d’un courage que les difficultés et les dangers semblaient exalter encore d’une promptitude de résolution, d’une abondance de ressources qui, au milieu des circonstances les plus critiques, ne le laissaient jamais au dépourvu, il parvint en quelque sorte à transformer ses coopérateurs, faire passer dans leur ame une partie du feu dont il était animé, à porter dans toutes les branches du service public une vigueur, une rapidité, une exactitude depuis long-temps inconnues.

Les échecs éprouvés en dernier lieu par les armes de l’Angleterre étaient dus autant peut-être à la faiblesse de quelques chefs militaires qu’à la mauvaise direction des expéditions et à l’insuffisance des préparatifs. Des exemples rigoureux prouvèrent aux généraux et aux amiraux qu’il y aurait désormais plus de danger à faire incomplètement son devoir qu’à l’accomplir avec audace, et que la perte de l’honneur, celle même de la vie, pouvait être le prix d’un moment d’indécision. Certes, on ne mettra jamais au nombre des mérites de Pitt l’inique exécution de l’amiral Byng, coupable tout au plus d’un peu d’hésitation dans sa tentative pour sauver Minorque : qu’il ait voulu réellement cette exécution, ou qu’il ait eu seulement le tort de ne pas s’y opposer, le supplice d’un innocent immolé aux préventions populaires est un crime dont on voudrait pouvoir laver sa mémoire ; mais d’autres actes d’une sévérité moins exagérée méritent d’autant plus d’être loués, qu’ils portèrent sur des hommes auxquels leur position eût assuré l’impunité de la part d’un gouvernement moins ferme. C’est ainsi que sir John Mordaunt, membre de la chambre des communes, accusé d’avoir fait échouer, par son impéritie et son irrésolution une expédition qu’on l’avait chargé de diriger sur les côtes de Bretagne, fut arrêté et mis en jugement. Il parvint, il est vrai, à se faire acquitter ; mais lord George Sackville, rappelé quelque temps après de l’armée d’Allemagne, où il commandait la division des forces