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ou d’une expression remarquable. Il est pourtant certain qu’il produisit une très vive sensation, et que ce début suffit pour assurer au jeune Pitt un rang distingué parmi les orateurs sur qui reposait l’avenir du parti whig. Suivant toute apparence, un tel succès était dû moins encore au talent dont avait fait preuve le nouveau député qu’à l’habileté avec laquelle il avait su tirer parti de la position du prince de Galles, déjà signalé à la faveur des mécontens, suivant l’usage héréditaire de la maison de Hanovre, par son opposition à la politique de son père.

On assure que Walpole, frappé de ce brillant début et comptant sur le succès des moyens qui lui avaient gagné tant de partisans, voulut les employer aussi pour désarmer le formidable adversaire qui venait de se révéler. Il lui fit, dit-on, proposer un avancement rapide dans la carrière militaire, s’il consentait à renoncer à celle du parlement. Cette offre étrange fut refusée, et l’attitude de Pitt n’ayant pu laisser aucun doute sur la voie dans laquelle il continuerait à marcher, on le destitua de l’emploi subalterne qu’il occupait dans l’armée. Par l’effet de cette mesure maladroite, Pitt se vit en un instant entouré de cette auréole de popularité qui, dans les gouvernemens libres, est la conséquence presque infaillible des rigueurs du pouvoir. Célébré par les journaux, chanté par les poètes comme le champion et le martyr de la liberté, il ne tarda pas à obtenir un dédommagement plus substantiel, et que sa position de fortune lui rendait alors presque nécessaire. En récompense d’un discours dans lequel il s’était prononcé pour l’augmentation de la dotation du prince de Galles, ce prince lui donna dans sa maison un emploi beaucoup plus lucratif que le grade militaire qu’on venait de lui ôter.

À partir de ce moment, Pitt prit une part considérable à toutes les discussions de la chambre des communes, et après Pulteney et Wyndham il en devint bientôt le membre le plus important. On admirait dès lors en lui ces hautes facultés intellectuelles et ces qualités physiques dont la réunion tant recommandée, tant recherchée par les anciens comme nécessaire pour constituer la perfection de l’art oratoire, s’est si rarement rencontrée dans les temps modernes. Une taille élevée, une tournure majestueuse, des traits nobles et beaux, un œil d’aigle, un regard perçant dont la seule atteinte suffisait pour déconcerter ses adversaires, une voix douce et forte, claire et harmonieuse tout à la fois, tels étaient les dons naturels qui, lorsqu’il prenait la parole, plaçaient d’avance son auditoire sous une sorte de fascination. Il ne négligeait rien de ce qui pouvait en augmenter et en prolonger