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REVUE. — CHRONIQUE.

nature à embarrasser beaucoup le cabinet de sir Robert Peel, si ce cabinet seul était en cause, et s’il était en mesure de dévoiler ses véritables intentions, mais qui ne peuvent manquer d’affecter d’une manière plus ou moins sérieuse le ministère français. Jusqu’ici, les débats du parlement britannique ne se sont pas écartés d’un programme strictement convenu des deux côtés de la Manche, et l’on a épuisé tout l’art des circonlocutions et des mots couverts pour persuader à la France qu’on tenait grand compte de ses vœux, tout en étant bien résolu à ne lui rien accorder de conforme à ses vœux mêmes : avec lord Palmerston, nous entrons dans le domaine de l’imprévu, dans la région des imprudences et des révélations compromettantes ; aussi de grands efforts sont-ils tentés près de l’ancien collègue de lord Melbourne pour le déterminer au retrait ou du moins à l’ajournement de sa malencontreuse motion.

Les bruits répandus dans le monde politique et répétés par quelques journaux accrédités de l’Allemagne méridionale, sur les négociations dont le principe est admis à Londres, sont d’une nature tellement singulière, que nous ne les répétons qu’avec la plus extrême réserve. D’après ces bruits étranges, le ministère anglais ne consentirait à reconnaître le grand principe de la protection exclusive par le pavillon national, et à renoncer au droit de visite en mer, que lorsque ce droit serait devenu complètement inutile par l’abolition même de la traite. Émanciper les noirs dans toutes ses colonies, tel serait pour la France le préliminaire obligé de toute négociation avec l’Angleterre sur une question de police et de suprématie maritime ; lier les deux questions de manière à les faire passer à la chambre l’une portant l’autre, tel serait le projet arrêté du cabinet français. Certes, M. le ministre des affaires étrangères est un grand orateur politique, et M. l’amiral de Mackau est un ministre aussi habile que respecté ; mais on peut les mettre hardiment au défi de réaliser un pareil plan, en admettant qu’ils en eussent un instant accepté la pensée.

Ce plan serait aussi impraticable en fait que contraire aux notions les plus élémentaires du droit. Le système adopté par la majorité de la commission dont M. le duc de Broglie a été l’éloquent organe propose de proclamer, comme on sait, l’émancipation générale et simultanée des noirs ; mais cette émancipation ne serait prononcée, aux termes de l’article 1er du projet, qu’après une période de dix années, consacrée au développement moral des esclaves et à la capitalisation d’une somme de 300 millions, destinée aux colons au moyen d’une rente de 6 millions en 4 pour 100 inscrite immédiatement au grand-livre de la dette publique. En admettant, ce qu’il n’est pas assurément permis d’espérer, qu’une loi aussi importante passât dans la session présente, ce serait en 1854 seulement que l’esclavage cesserait aux colonies françaises, et jusqu’alors le droit de visite continuerait à susciter la dangereuse susceptibilité de deux grands peuples. Ne serait-ce pas d’ailleurs compromettre une cause grande et sainte par elle-même que de présenter l’in-