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L’ISTHME DE PANAMA.

Lors du grand repos que semble faire la civilisation pendant le calme majestueux dont jouissait l’empire romain au IIe siècle, le canal fut rétabli ; le bras artificiel du Nil qui lui amena alors des eaux fut nommé le fleuve Trajan par l’empereur Adrien, en mémoire de son père adoptif.

Comblé de nouveau par les sables dont l’action dévastatrice s’aidait de celle des Arabes nomades, intéressés à être, avec leurs chameau, les rouliers du désert, le canal fut réparé encore une fois par les Sarrasins. Ce fut par la volonté d’Omar, le même qu’on dépeint si farouche, et auquel la déesse aux cent voix, en cela au surplus convaincue de mensonge, a attribué l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie. Amrou venait de conquérir l’Égypte ; Omar lui ordonna de rétablir les communications entre la vallée du Nil et la Mecque, dans l’intérêt de la ville sainte. On modifia cependant le canal en changeant encore une fois la prise d’eau, déjà déplacée par les Romains, et en la portant au sein du Caire, afin d’avoir plus de courant. Après les travaux d’Amrou, le canal porta le nom du prince des croyans.

Il semblait être dans sa destinée que tous les conquérans de l’Égypte se proposassent d’y attacher leur nom. Quand les Français, conduits par Bonaparte, furent les maîtres de l’Égypte, le général en chef voulut le rétablissement de cet antique ouvrage. Il y mettait tant de prix, qu’il en commença la reconnaissance en personne. Il alla jusqu’à Suez, parcourut les environs de cette ville, et, dans cette excursion, il fut exposé aux plus grands périls. Sa présence d’esprit seule le sauva d’une mort pareille à celle du Pharaon acharné à la poursuite du peuple hébreu.

Les ordres du vainqueur des Pyramides furent ponctuellement exécutés par M. Lepère, ingénieur des ponts-et-chaussées, et c’est de son important travail que j’extrais les renseignemens qu’on va lire.

Le canal, tel que M. Lepère l’a proposé, suivrait à peu près la ligne du Canal des Rois. Il aurait 153 kilomètres et demi, partagés en quatre biefs ; les Lacs Amers en feraient partie intégrante. Il emprunterait ses eaux au Nil : pendant les crues qui donnent l’abondance, le niveau du Nil est à 4 mètres 74 centimètres au-dessus de la basse mer à Suez ; mais à l’étiage, quand il est réduit à sa dernière limite, il est au contraire au-dessous de la mer Rouge de 4 mètres 62 centimètres : ainsi, dans la saison des hautes eaux seulement, le canal serait praticable. Pendant quatre à cinq mois, chaque année, la navigation serait interrompue. Ce serait un inconvénient