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DE LA CRISE POLITIQUE EN ESPAGNE.

prendre en un moment si critique, il s’enferma dans sa chambre après avoir ordonné qu’on ne laissât arriver personne jusqu’à lui. Et puis, il faut bien le dire, M. Serrano se coucha.

En dépit de la défection du général Serrano, la réunion eut lieu chez la reine ; il était minuit environ quand la déclaration fut enfin revêtue des formalités indispensables, mais l’on voit combien peu était avancée la formation du nouveau ministère. À cette heure-là déjà, le choix des hommes n’était plus possible ; ce furent MM. Gonzalès-Bravo et Pidal qui se chargèrent de constituer le cabinet. Ils s’effrayèrent bientôt l’un et l’autre de la tâche qu’ils venaient d’accepter, et, sans tenir compte des derniers évènemens de la journée, ils coururent chez le général Serrano, forcèrent la consigne et pénétrèrent dans sa chambre à coucher. Là toutes leurs sollicitations se brisèrent contre l’inébranlable fermeté du général, qui de son lit leur signifia qu’il n’entendait, une fois pour toutes, ni former le cabinet ni entrer dans aucune autre combinaison en qualité de président du conseil. Le temps pressait ; il importait de ne plus perdre une minute en des pourparlers désormais inutiles ; MM. Pidal et Gonzalès-Bravo retournèrent auprès de la reine.

De retour au palais, M. Pidal déclina formellement la mission dont on l’avait investi. Il fallait, disait-il, pour diriger les délibérations du congrès, un homme profondément dévoué à la couronne ; il avait d’ailleurs conseillé la destitution de M. Olozaga et dressé l’acte d’accusation qui allait se discuter aux cortès : c’était donc pour lui comme une sorte de point d’honneur de ne pas se mettre à la place du ministre déchu. M. Pidal n’avait qu’un tort, celui de s’expliquer beaucoup trop tard. On comprend la panique soudaine que jeta sa déclaration parmi les membres les plus notables et les plus résolus du parti modéré. De tous ceux que l’on supplia de former un ministère, aucun n’accepta. Deux heures avaient sonné, et la Gazette de Madrid attendait les noms des nouveaux ministres. Pour la première fois, en Espagne, il allait être question devant les cortès, non pas du gouvernement, non pas des formes de la monarchie, mais de la monarchie elle-même ; pour la première fois l’inviolabilité royale se mettait à la merci d’un vote législatif. Si pas un ministre ne se présentait pour appuyer la déclaration de la reine, quel compte en pouvait tenir l’opinion publique ? et quel prestige conserverait une reine qui, sur une accusation d’imposture, n’aurait tout au plus que d’officieux défenseurs ? Dans la journée du 30 novembre, l’agitation des partis s’était communiquée à la ville ; d’heure en heure, elle avait grandi parmi le peuple, à la porte des casernes surtout, où la troupe était sous les armes. Les estafettes fréquemment envoyées à Narvaez par son état-major rassuraient le général sur les dispositions de la troupe ; mais pour les amis de la reine, c’était encore un péril que ce dévouement de l’armée, le parti progressiste leur imputant déjà la pensée de ne plus chercher à dominer que par elle. Et d’ailleurs, si peu de temps après l’échauffourée de