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SITUATION DES PARTIS.

sur une majorité étroite et vacillante. Devant une telle majorité, les meilleures résolutions chancellent, les plus honorables intentions s’usent et s’évanouissent. Il y a d’une part quelques voix à gagner ou à conserver, de l’autre une puissante protection à ne pas perdre, et cette double nécessité impose partout des sacrifices et des compromis dont la vérité du gouvernement représentatif souffre autant que la morale publique et la saine politique.

Je suis frappé, en terminant, d’un contraste singulier. Parmi les hommes qui votent aujourd’hui avec l’opposition, il en est beaucoup qui ont prêté un concours énergique à la politique de Casimir Périer et de ses successeurs. Parmi les hommes qui votent avec le ministère, il en est beaucoup qui ont vivement combattu cette politique. D’où vient ce double changement ? Si l’on en cherche la cause ailleurs que dans des considérations personnelles, voici comment on pourrait l’expliquer. Il y a des hommes qui ont cru qu’à mesure que le gouvernement s’éloignait des dangers de son origine, sa politique devait devenir plus fière et plus exigeante au dehors, plus libérale et plus conciliante au dedans. Il y a d’autres hommes qui ont été d’un avis tout contraire. Tandis que les premiers s’écartaient des rangs ministériels, les seconds venaient donc s’y ranger, et finissaient, en 1840, par regarder comme téméraire la politique qui leur paraissait timide en 1831, comme ultra-libérale la politique qui leur semblait alors presque contre-révolutionnaire. Ces deux tendances au reste sont de tous les temps et de tous les pays, et toujours il y a eu deux classes d’hommes politiques, ceux qui résistent au courant et ceux qui le suivent. C’est ainsi qu’on a vu, sous la restauration, certains libéraux ardens de 1818 devenir, après la campagne d’Espagne, partisans fougueux de la contre-révolution, et ne reprendre leurs principes constitutionnels qu’en 1828, sous le ministère Martignac. C’est ainsi, au contraire, que des hommes qui avaient soutenu vivement la restauration, quand on l’attaquait à main armée, furent les premiers à lui donner de salutaires avertissemens, quand, enivrée par le succès, elle entra follement dans la voie où elle s’est perdue. Le rôle des premiers, j’en conviens, est plus commode et plus avantageux. Reste à savoir s’il est aussi utile pour le pays.

Quoi qu’il en soit, si la portion modérée du centre pense qu’une majorité de 30 voix laborieusement acquise et chaque jour prête à s’évanouir est suffisante pour gouverner le pays avec puissance et grandeur ; s’il lui semble que les affaires extérieures de la France soient conduites avec prévoyance, fermeté et dignité, les affaires in-