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quefois distinguer deux tendances, l’une assez modérée, assez prudente, assez parlementaire, l’autre peu mesurée, peu prévoyante, peu constitutionnelle. De ces deux tendances, la seconde a définitivement pris le dessus. La conséquence, c’est que les hommes modérés, parmi les ministériels, sont pleins de trouble et de doutes ; c’est que le ministère, naguère plein de vie, se sent blessé, et se voit contraint d’ajourner les lois les plus urgentes, celles qu’il comptait présenter dès le lendemain de l’adresse. Pendant ce temps, au contraire, l’opposition constitutionnelle marche d’un pas ferme et cimente chaque jour son union. En présence de tels symptômes, on aurait pu, à d’autres époques, prédire à coup sûr que la succession ministérielle était à la veille de s’ouvrir ; mais ce ne serait pas la première fois depuis trois ans que les règles ordinaires du gouvernement représentatif se trouveraient méconnues. Il faut donc se borner à constater les faits, et attendre qu’il plaise à la chambre d’en tirer enfin la conséquence.

Si maintenant l’on demande quelle sera, dans le cas où le ministère tomberait demain, l’administration nouvelle, il est difficile de répondre. Tout ce que l’on peut dire, c’est que l’opposition regarderait un changement d’hommes comme fort indifférent, si le système devait rester absolument le même. C’est qu’au contraire, si le système est modifié, elle se défendra de toute répugnance personnelle et systématique. Il y a, dans les circonstances actuelles, avec les difficultés que tout le monde prévoit, peu d’empressement à prendre le pouvoir. Si ceux qui s’en chargent sont bien déterminés à tirer la politique des régions inférieures où elle végète, pour la replacer dans une sphère plus élevée et plus pure ; si, regardant au dehors la paix comme un moyen, non comme un but, ils prennent quelque souci de la grandeur et de la dignité de la France ; si, sincèrement constitutionnels et parlementaires au dedans, ils ne livrent aux influences d’en haut ou d’en bas ni le gouvernement ni l’administration, nul doute que l’opposition ne leur soit bienveillante, et ne les aide, quels qu’ils soient, dans une œuvre aussi honorable que difficile. Et, il est bon qu’on le sache, l’heure est venue où la conduite la plus honnête serait en même temps la plus habile. On a pu, pendant un certain temps, faire disparaître les intérêts généraux sous le débordement des intérêts privés ; mais c’est un flot qui monte toujours, et qui, si on ne se hâte de l’arrêter, ne tardera pas à couvrir le gouvernement lui-même. Il y a là pour le prochain ministère un grand devoir à remplir, un devoir qui, s’il l’accepte résolument et franchement, finira par lui tourner à profit. C’est d’ailleurs une raison décisive encore pour qu’il lui soit interdit de s’appuyer