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SITUATION DES PARTIS.

Ce qui s’est passé en 1839, ce qui s’est passé depuis trois ans en est une preuve évidente. Ainsi, le ministère l’a avoué, son but depuis trois ans est de rapprocher la France de l’Angleterre. C’est pour cela qu’il a signé le traité du droit de visite en 1841. C’est pour cela qu’en 1844 il a proclamé l’entente cordiale. Or, il n’est personne en France qui ne sache quels ont été les effets du traité de 1841. Il n’est personne qui ne pressente quels seront ceux de l’entente cordiale. Qu’est-ce donc qu’une conduite qui aboutit toujours à un résultat tout autre que le résultat désiré ? Qu’est-ce qu’un cabinet qui fait habituellement le contraire de ce qu’il veut faire, et qui, en supposant même sa politique bonne au fond, trouve inévitablement le moyen de la frapper d’impuissance et de stérilité ?

Il faut dire toute la vérité. Au fond, le pays n’a jamais approuvé ni la politique ni la conduite du cabinet ; mais le pays aime la paix et l’ordre. En 1840, sous l’empire d’une préoccupation malheureuse, il a cru la paix compromise, et comme il n’y avait pas deux ministères qui voulussent alors se charger, en donnant à l’Europe pleine satisfaction, d’écarter toute chance de danger, le pays, avec une douloureuse résignation, a subi ce qu’il regardait comme une nécessité. Deux ans après, toute inquiétude de guerre ayant disparu, le ministère allait tomber, quand la mort de M. le duc d’Orléans est venue faire craindre pour l’ordre, et substituer la question dynastique à la question ministérielle. C’est sur ces deux catastrophes, celle de 1840 et celle de 1842, que le ministère a vécu ; c’est en elles qu’il a puisé toutes les forces morales qui l’ont soutenu jusqu’ici. Il a d’ailleurs appelé à son aide d’autres forces, et à mesure que les opinions s’éloignaient de lui, essayé de combler le vide en donnant pâture aux intérêts. Mais il est impossible qu’un jour ou l’autre un tel système ne soulève pas tout ce qu’il reste en France de sentimens élevés. On pouvait douter, il y a six semaines, que ce jour fût venu ; on peut espérer aujourd’hui qu’il le sera bientôt. Tout le monde a remarqué que, dans la discussion de l’adresse, les députés ministériels votaient, mais qu’aucun ne parlait pour le ministère. C’est au point qu’un jour quatre orateurs de l’opposition ont occupé toute la séance, sans qu’une seule voix ministérielle s’élevât pour leur répondre. Qu’est-ce que cela veut dire, si ce n’est que les députés ministériels commencent à souffrir eux-mêmes de la cause qu’ils soutiennent, et que le vote silencieux est tout ce qu’ils se sentent capables de lui accorder ? Quand une cause en est là, on peut affirmer que sa ruine est prochaine.

En résumé, sous l’unité apparente du ministère, on avait pu quel-