Réveiller contre le plus éminent des membres du cabinet des animosités nationales qui paraissaient assoupies ; mécontenter, diviser, presque perdre la majorité ; pousser la chambre dans une voie fatale, dans une voie révolutionnaire, celle des épurations et des mutilations intérieures ; porter atteinte à l’indépendance parlementaire et aux principes constitutionnels, tout cela pour maintenir un mot qu’il désapprouve au fond de l’ame, mais qu’il n’a pas eu la force de refuser aux passions qui le dominent, voilà donc ce que le ministère a fait. A-t-il du moins, par une telle conduite, abattu le parti légitimiste et contrarié ses desseins secrets ? Tout au contraire, ce me semble. Le parti légitimiste et son prince ne songent certes pas en ce moment à renouveler l’insurrection de 1832, et s’ils y songeaient, ce qui s’est passé, ce qui s’est dit à Londres suffirait pour les en détourner ; mais le parti légitimiste et son prince veulent qu’on ne les oublie pas. De là la manifestation de Londres. Tout ce qui donne de l’importance à cette manifestation, tout ce qui fait qu’on s’en occupe en France et en Europe sert donc le parti légitimiste au lieu de lui nuire ; c’est là le piége qu’il fallait éviter ; c’est le piége où malheureusement le gouvernement est tombé. Avant l’adresse, le parti légitimiste paraissait lui-même assez embarrassé de sa petite campagne, et jurait qu’on ne l’y prendrait plus. Depuis l’adresse, il est irrité, ulcéré ; mais la grandeur du débat et ses conséquences le relèvent à ses propres yeux. N’a-t-il pas en effet agité pendant trois jours la représentation nationale, soulevé les passions, divisé la majorité, ébranlé le cabinet ? Ne va-t-il pas encore, par suite de la démission forcée de cinq de ses membres, occuper pendant un mois au moins la scène politique ? Que pouvait espérer de mieux le jeune prince qui est venu inaugurer à Londres son rôle de prétendant ?
On voit quel chemin le ministère a su faire en trois semaines. Par l’incident de la dotation, il a remis à l’ordre du jour la querelle si délicate du gouvernement parlementaire ; par l’entente cordiale, il a fourni à l’opposition des armes formidables, tout en prenant des engagemens et une responsabilité qui vont peser sur toute sa politique ; par la flétrissure et les démissions qui en ont été la conséquence, il a ranimé les passions, précipité la chambre dans une voie violente, mécontenté ses amis ; par tous ces actes réunis enfin, il a considérablement réduit la majorité qui le soutenait. Est-ce à dire que le ministère doive tomber demain et qu’il ne reste plus qu’à ramasser ses dépouilles ? C’est aller un peu vite ; toutefois il est une chose incontestable, c’est que le système dont le ministère est l’expression tend de plus