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s’en faut, s’accordait-elle à le blâmer. Or, Il était bien moins acceptable encore après les discours de M. Berryer et de M. Guizot.

Je ne crois pas me tromper en disant que telle fut pendant la discussion de l’adresse l’impression de la grande majorité de la chambre et du ministère lui-même. Le parti ministériel et les ministres redoutaient un débat qui pouvait jeter quelque division dans les rangs de la majorité et irriter les esprits. L’opposition, bien résolue à ne pas prêter indirectement les mains à un acte qu’elle avait si vivement flétri sous la restauration, à la mutilation de la représentation nationale, l’opposition n’en conservait pas moins une crainte, celle de paraître trop indulgente pour une blâmable manifestation. L’opposition, comme la portion modérée du parti ministériel, désirait donc vivement une transaction qui permît de réunir dans un vote commun tous les amis sincères de la dynastie et des institutions ; tout ce qu’elle demandait c’est que cette transaction respectât l’honneur de ses collègues légitimistes et l’inviolabilité de la chambre.

On sait que pendant une journée entière cette transaction fut acceptée par l’unanimité de la commission et parut approuvée du ministère ; on sait aussi qu’en quelques heures, et par suite de résistances diverses, elle fut abandonnée, et que le mot proscrit la veille d’un commun accord redevint, aux yeux de la commission et du ministère, nécessaire au salut de la monarchie. Est-il besoin de dire quelles ont été les conséquences de cette funeste détermination ? Pendant deux jours, la chambre livrée aux discussions les plus orageuses et aux plus violentes récriminations ; les accusateurs devenus accusés à leur tour, les racines même de la constitution mises à nu ; les deux principes de la souveraineté nationale et de l’inviolabilité royale placés en face l’un de l’autre et discutés publiquement ; puis, après tout cela, le mot auquel on tenait tant rejeté par la majorité réelle de la chambre, et ne passant à une seconde épreuve que grace à l’abstention de vingt-cinq députés légitimistes ; enfin, pour couronner l’œuvre, cinq députés exclus de la chambre et protestant hautement contre l’abus de la force. Ajoutez que l’adresse elle-même n’a passé qu’à une majorité absolue de 14 voix, majorité qui se fût évanouie, si 14 ou 15 députés de l’opposition n’eussent, par des considérations diverses, jeté une boule blanche dans l’urne ; ajoutez encore que, peu de jours après, un des vice-présidens de la chambre, vivement interpellé en présence de la chambre même, au sujet de son vote, a dû, par une démission noblement donnée et noblement maintenue, défendre l’indépendance parlementaire, les principes constitutionnels, et sa propre dignité.