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phées du genre humain passe à d’autres. Cette substitution est toujours violente, et dans le choc il s’égare plus que des parcelles du précieux dépôt. Plus tard, on retrouve ces riches joyaux abandonnés sur le bord du chemin, et presque toujours quelque tradition des anciens temps qui s’est religieusement transmise dans l’ombre a aidé à cette seconde découverte. En ajoutant ces nouveaux fleurons à la couronne de l’humanité, on est trop enclin à oublier que ce qu’on lui donne n’est que la dépouille d’un siècle antérieur, et on s’affranchit de la reconnaissance qu’on doit à de grands esprits et à des cœurs bienfaisans auxquels pourtant cette récompense est bien méritée ; car l’injustice des contemporains et l’amertume de la vie semblent, par une loi fatale, former le patrimoine des hommes en qui la Providence a mis le feu sacré de l’invention. Le vautour de Prométhée n’est point une fable ; c’est une histoire véritable de tous les jours.

Pour une communication océanique, avons-nous dit, de bons débouchés en mer aux deux extrémités ne sont pas moins indispensables que de favorables conditions topographiques et hydrauliques, telles qu’une faible épaisseur de terre ferme à trancher, l’absence des montagnes et un approvisionnement d’eau suffisant pour alimenter une belle ligne de grande navigation. Tant que, sous ce rapport maritime, l’isthme entre Chagres et Panama ne nous aura pas donné satisfaction, les avantages extraordinaires qu’il présente pour le creusement d’un canal large et profond seront encore comme non avenus. Or donc, y a-t-il à Panama et à Chagres un bon port, aisé à rendre accessible pour les navires arrivant de l’intérieur par le canal, tout comme pour ceux venant de la pleine mer ?

Le port de Chagres est formé par la rivière de ce nom. Sur la barre de la rivière, suivant le capitaine Garnier, commandant le brick le Laurier, de la marine française, on trouve encore une profondeur d’eau de 4 mètres et demi, et, d’après ce même officier, dans des circonstances favorables, un navire calant 4 mètres peut y entrer. Quand le vent est fort, la barre est presque infranchissable. On va alors dans la baie de Limon, qui est à 6 ou 7 kilomètres à l’est de Chagres (M. Lloyd estime cette distance à 4,800 mètres seulement).

La barre offre sous le sable un rocher calcaire tendre qui, se redressant au milieu, partage la rivière en un double chenal. Il serait possible d’accroître la profondeur de l’eau sur la barre partout où le rocher se présente sous une faible épaisseur de sable ou de vase, en y faisant jouer la mine ; mais on a la ressource de substituer à l’entrée de la rivière Chagres la baie de Limon, où les vaisseaux de ligne