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SOUVENIRS D’UN NATURALISTE.

nos jours ont cru voir dans cette circonstance l’explication de bien des fables mythologiques. Pour eux, le dieu Protée, consulté par Ménélas à son retour de la guerre de Troie, n’est plus qu’un de ces phares antiques que le prince grec, égaré dans sa route, vint reconnaître, et où il reçut les instructions nécessaires pour regagner sa patrie. Pour eux, l’œil unique des cyclopes rappelle les feux allumés sur les caps de la Sicile, et la tradition qui veut que ces géans aient expiré sous les flèches d’Apollon signifie qu’au lever du soleil on éteignait ces signaux pour la plupart inutiles en plein jour. Ces édifices étaient souvent très considérables ; et la hauteur du phare élevé par Sostrate de Gnide, trois cents ans environ avant l’ère chrétienne, sur la côte basse d’Alexandrie, dépassait de beaucoup celle de toutes nos tours modernes.

Cette élévation exagérée n’était nullement nécessaire pour obtenir le but proposé. Pour qu’un fanal se voie du plus loin possible, la difficulté ne consiste pas à le placer très haut, mais bien à donner à la lumière une intensité telle qu’elle puisse traverser sans s’affaiblir outre mesure des espaces considérables. Or, sous ce rapport, les phares antiques, éclairés par des feux ordinaires, étaient des plus défectueux, bien que suffisans peut-être pour le timide cabotage, seul mode de navigation usité à cette époque. Lorsque la connaissance plus approfondie des étoiles, lorsque l’invention de la boussole eurent ouvert aux marins toute la surface des mers, le nombre des signaux put être diminué sans inconvéniens, en même temps qu’il était nécessaire d’en augmenter la portée. Dès-lors, le problème devenait complexe ; il fallait augmenter l’intensité de la lumière, il fallait réunir les rayons qui, s’échappant en tout sens, se perdent dans l’espace, plongent au pied du phare ou éclairent en pure perte les terres voisines, et les ramener horizontalement vers la mer.

Bien des tentatives furent faites dans ce double but. La substitution des lampes à double courant d’air, inventées par Argand, fut un premier progrès. Un Anglais nommé Hutchinson imagina le premier, vers le commencement du XVIIe siècle, de placer derrière ces lampes un miroir métallique qui ramenait en avant une partie des rayons égarés. Un Français, le chevalier de Borda, porta au plus haut degré de perfection ce mode d’éclairage, en employant comme réflecteur un miroir parabolique, qui doit à la courbure particulière de ses parois la propriété d’envoyer dans la même direction tous les rayons émanés d’un centre lumineux placé à son foyer, et de projeter ainsi en avant une sorte de cylindre composé de tous les rayons partis de ce centre.