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ÉCONOMISTES FINANCIERS DU XVIIIe SIÈCLE.

Louis XV, estimation faite de la puissance relative du numéraire à diverses époques, était inférieur de 66 millions à celui de Louis XII, de 128 millions à celui de François Ier, de 124 millions à celui de Henri II, de 163 millions à celui de Henri III[1]. Ces calculs ne se prêtent pas à une vérification rigoureuse ; mais, fussent-ils inexacts, ils auraient encore le mérite de constater les effets de l’avilissement progressif des valeurs monétaires, phénomène sur lequel on a le tort de fermer les yeux aujourd’hui, et qui mériterait pourtant d’être pris en considération sérieuse, surtout dans l’intérêt des classes pauvres : car il pourrait arriver que les abus du crédit produisissent à la longue, au profit des gens de finance, à peu près les mêmes effets que ces falsifications d’espèces pratiquées au moyen-âge par le souverain.

Une réaction devait suivre inévitablement la prétendue réforme financière. On entrevit d’instinct que la spéculation la plus propre à enrichir véritablement la France serait l’exploitation des ressources naturelles de son territoire. Cette idée eut pour interprètes les physiocrates, qui les premiers réduisirent en corps de doctrine la science des intérêts matériels, et lui donnèrent le nom d’économie politique, qui lui est resté. Les écrivains de cette estimable école, Quesnay, Mercier de la Rivière, Letrosne, Mirabeau le père, Dupont de Nemours, Turgot, fourniront matière à de prochaines publications que nous ne manquerons pas d’examiner. L’intérêt qui s’attache à la première série est de bon augure pour celles qui vont suivre. M. Daire, il y a justice à le répéter, a fait preuve de zèle et d’intelligence dans l’accomplissement de sa tâche laborieuse. Ses notices biographiques sont bien étudiées et de bon style ; ses notes, abondantes sans profusion, éclaircissent tout ce qui a rapport aux lois, aux doctrines, aux locutions tombées en désuétude. Ces retours continuels du temps passé à l’époque présente ont permis à l’auteur de constater les progrès de la science, et de signaler les problèmes dont la solution est encore à désirer. Ses sympathies franches et généreuses ne se défendent pas assez, dans l’expression, des habitudes d’un libéralisme un peu déclamatoire. Dans les allusions fréquentes aux choses de ce temps, l’aigreur de la polémique quotidienne perce un peu trop peut-être pour

  1. Dans cette évaluation, Dutot laisse en dehors l’argent absorbé par l’intérêt des dettes publiques. Il ne compte que la partie disponible et applicable aux dépenses courantes. Il prend aussi en considération les acquisitions territoriales de la France pendant le XVIIe siècle.