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ÉCONOMISTES FINANCIERS DU XVIIIe SIÈCLE.

libéré d’une grande partie du fardeau qui l’accablait[1] ; tous les capitaux du pays ayant été remués, la circulation long-temps suspendue avait repris son cours. Quelle que soit d’ailleurs la sévérité du juge, la circonstance atténuante ne manque pas à l’accusé. C’est sa bonne foi, son désintéressement. Il aurait pu mettre en réserve des trésors ; il ne s’abaissa pas jusqu’à prévoir un revers de fortune. Lorsqu’il dut fuir devant l’exécration publique, il quitta ce pays où il avait apporté une fortune considérable avec 800 louis, produit d’un remboursement inattendu qui lui fut fait à l’instant du départ. Retiré à Venise, il vécut neuf ans encore dans un état de pénurie, interrompu seulement par les bonnes chances du jeu.

Le publiciste nous intéresse ici plus que l’homme d’état. Nous avons déjà dit que Law ne fut pas, à proprement parler, un écrivain économique ; on ne retrouverait pas en lui un de ces maîtres qui se placent en présence du public et prennent la plume dans l’intention de vulgariser une découverte. Tous ses écrits sont des mémoires à l’appui des opérations qu’il méditait. Ses Considérations sur le Numéraire, soumises au parlement d’Écosse comme introduction à son projet de banque territoriale, n’ont été traduites en français que postérieurement, par M. de Sénovert, le premier collecteur de ses œuvres[2]. Ses divers Mémoires sur les Banques et les Monnaies, adressés au régent ou à ses conseillers, ne sont que des exposés de motifs du système : les lettres publiées dans les journaux du temps tiennent lieu de prospectus à l’adresse du public. Ces écrits fort ingénieux révèlent une remarquable perspicacité : ils contiennent néanmoins des erreurs de doctrine qui, dans l’application, devaient aboutir à une catastrophe. Law acceptait sans contrôle les idées qui régnaient de son temps en matière de politique commerciale. Sous l’influence de ce système mercantile qui avait pour but l’accumulation des métaux précieux, il croyait qu’une nation, de même qu’un particulier, est d’autant plus riche qu’elle possède plus de numéraire ; son erreur était de croire que

  1. On avait remboursé le capital des rentes sur l’état avec des actions de la Compagnie des Indes. Cette opération ayant été faite au plus fort de la hausse, il arriva que les rentiers crurent faire une excellente affaire en recevant, au cours de 5,000 livres, des actions de 500 livres.
  2. Cette première édition (1790) a servi de base à la réimpression de M. Daire. Celle-ci est enrichie de quatre Lettres sur le nouveau système des Finances, publiées par Law dans le Mercure de France de 1720, et d’un Mémoire fort remarquable sur les Monnaies, que Forbonnais nous a conservé, en l’insérant dans ses propres œuvres.