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possible de prévoir, c’était la banqueroute, remède désespéré auquel il est toujours temps de recourir. Dans cette extrémité, le régent se livra corps et ame à l’Écossais, de même qu’un siècle plus tôt on se fût donné au malin génie.

Il serait ici hors de propos de reproduire l’histoire du fameux système, la plus vaste, la plus aventureuse, la plus bizarre des expériences financières qu’une nation ait jamais risquées. Nous ne rappellerons pas les extravagances de la rue Quincampoix ni cette espèce de miracle qui fit que, pendant plusieurs mois, tout le monde méprisa l’or et l’argent, ni cette frénésie qui poussa une action de 500 livres jusqu’à 20,000 livres, pour la laisser retomber plus tard au-dessous d’un louis, ni enfin l’ébahissement stupide du public après le bouleversement général des fortunes. Tous les détails désirables sur les opérations du financier écossais sont consignés dans la notice de M. Daire. Ce travail fort étendu met les faits à la portée des lecteurs de toutes les classes ; mais il doit être particulièrement apprécié par ceux qui savent combien il est difficile de parler la langue des affaires sans sacrifier l’élégance et la précision. Nous reprocherons seulement à M. Daire le ton d’aigreur qu’il ne peut s’empêcher de prendre en contrôlant le récit du plus célèbre de ses devanciers : ces rectifications, qui n’ont pas l’accent d’une controverse bienveillante, sont des discordances nuisibles à l’effet général du morceau. S’il était vrai que M. Thiers eût commis quelques inexactitudes en crayonnant capricieusement le portrait de Law, il faudrait rappeler avec insistance qu’il a prodigué dans cette esquisse ces traits heureux qui donnent du relief à une physionomie, et communiquent à des études positives la séduction d’une fantaisie littéraire.

Une sorte de rancune traditionnelle poursuit encore la mémoire de Law : on dirait qu’après plus d’un siècle les gémissemens de ses innombrables victimes trouvent encore des échos. Toutefois, en s’élevant au-dessus des passions individuelles, on doit reconnaître que le passage du hardi novateur n’a pas été sans quelque profit pour la France. Lorsqu’il fut admis dans les conseils du régent, la situation était désespérée, à tel point que les plus habiles n’entrevoyaient d’autres issues qu’une banqueroute ouverte ou une révolution dans l’état des personnes. On redoutait une crise dangereuse : grace au système, la banqueroute et la révolution s’accomplirent en effet, mais à l’insu de tout le monde, et dans le délire d’une sorte d’orgie au sortir de laquelle personne n’avait le droit de se plaindre. Le gouvernement se trouva