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ÉCONOMISTES FINANCIERS DU XVIIIe SIÈCLE.

dire que ce prétendu impôt du sang n’était plus alors qu’une locution traditionnelle, et qu’en réalité les roturiers marchaient sous les drapeaux comme les nobles. Le soldat, recruté à prix d’argent, était nourri et soldé pour exercer volontairement un état de son choix, tandis que le seigneur en possession d’un fief devait prendre du service forcément et à ses frais. Il est évident que le métier des armes eût suffi pour ruiner les nobles, s’ils n’avaient pas eu pour se refaire les profits secrets du métier de courtisan.

Une considération qui contribua à paralyser les projets de réforme plus encore que le respect des droits acquis, ce fut la crainte d’irriter les gens de finance. Ils étaient déjà les maîtres de la paix et de la guerre, ces hommes qui, suivant le mot de Voltaire, soutiennent l’état, comme la corde soutient le pendu. Le rigide Vauban avait beau s’écrier : « Il faut se boucher les oreilles, aller son chemin et s’armer de fermeté. » Il ignorait qu’un coffre-fort ne se prend pas d’assaut comme une citadelle. Dans les pays franchement despotiques, l’équilibre est de temps en temps rétabli par des coups d’état frappés sur les spoliateurs. Il n’en est pas de même aux époques où les formes de la justice sont respectées ; alors ceux qui abusent le plus scandaleusement de leur prépondérance pour violer les lois de l’éternelle justice, sont les plus habiles à se retrancher sous la protection de la loi écrite. À mesure que les sociétés avancent, et que les relations, en se compliquant, agrandissent le rôle du crédit, le maniement de la fortune publique exige plus de fermeté et de vigilance. La lutte ténébreuse qu’il faut soutenir contre les traitans et les agioteurs devient d’autant plus fatigante pour le ministre des finances fidèle à son devoir, qu’il ne pourrait pas, comme ses collègues, retremper ses forces dans l’excitation de la popularité. Une mesure accueillie par un assentiment général mettrait en défiance ceux qui spéculent sur les abus, et elle soulèverait, de la part des hommes d’argent, une coalition avouée ou occulte, qui serait un embarras pour le gouvernement, sinon un danger pour le pays.

Pour combler l’abîme du déficit sans écraser les contribuables, sans froisser les privilégiés, sans effaroucher les gens de finance, il ne fallait rien moins qu’un magicien. Un homme aussi éblouissant par le prestige de ses manières que par la supériorité de son esprit se trouva précisément à la hauteur de ce rôle. Ce fut l’Écossais Jean Law. Fils d’un riche orfèvre d’Édimbourg, Law se trouva maître à vingt ans d’un patrimoine qui assurait son indépendance. Culture intellectuelle, verve d’élocution, maintien imposant, charme de la figure, rare